Projets de loi sur les pratiques des influenceurs.
Ces dernières années, les scandales et affaires d’escroquerie ont été nombreux concernant les influenceurs et leurs activités de placement de produits. Qu’il s’agisse de produits pharmaceutiques ou promotion de jeux d’argent, les autorités se saisissent peu à peu de la problématique.
INTRODUCTION
Ces dernières années, les scandales et affaires d’escroquerie ont été nombreux concernant les influenceurs et leurs activités de placement de produits. Qu’il s’agisse de produits pharmaceutiques ou promotion de jeux d’argent, les autorités se saisissent peu à peu de la problématique. L’influenceuse Nabilla a notamment été condamnée à 20 000€ d’amende en 2021 suite à la promotion sur les réseaux d’un site de trading, sans en mentionner le caractère publicitaire.
De par l’augmentation du nombre d’affaires depuis plusieurs mois, les députés ont décidé de se saisir de ces problématiques pour essayer d’instaurer un début de législation concernant un métier encore méconnu du droit positif et très peu différencié du droit commun.
Ainsi, deux projets de loi ont été déposés en novembre et décembre derniers. Ces deux textes ont pour objet de débuter une réglementation sur le statut et l’activité d’influenceur. Il est donc nécessaire de mettre en lumière certains points importants de ces textes afin d’en comprendre l’impact.
Nous allons étudier successivement ces deux projets de loi avant de faire un rappel de la législation en droit commun qui reste, rappelons le, applicable même si non spécifique.
I. UN PREMIER PROJET DE LOI PROMETTEUR BIEN QUE PEU NOVATEUR.
Une première proposition de loi a été déposée le 15 novembre 2022, visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet. Ce premier projet est principalement accès sur l’encadrement du statut social de l’influenceur et vise à créer les articles L.7125-1 et suivants du Code du travail instituant un véritable statut au métier d’influenceur.
En effet, le législateur vient poser une définition de l’activité d’influenceur au sens du Code du travail:
“[…] même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne physique ou morale qui détient, exploite ou anime, à titre professionnel ou non, une page ou un compte personnel accessible sur une plateforme en ligne et dont l’activité dépasse un seuil d’audience déterminé par décret, en vue du partage de contenus exprimant un point de vue ou donnant des conseils susceptibles d’influencer les habitudes de consommation”.
Cette définition de l’activité d’influenceur est particulièrement précise. Par cette approche le législateur choisit de cibler véritablement les influenceurs issus d’un certain domaine, notamment les influenceurs publiant de façon récurrente des placements de produits ou partenariats rémunérés. Vraisemblablement, dans cette vision, le législateur exclut de la notion d’influenceur tous les créateurs de contenu qui n’auraient pas pour activité les placements de produits. Or, bon nombre de créateurs de contenu, notamment sur les plateformes telles que Youtube et Twitch, n’ont pas forcément recours au placement de produit de façon récurrente dans leur contenu. Néanmoins, le législateur vient préciser que le caractère occasionnel ne serait pas une entrave à la qualification de ce statut, il en va de même pour l’exercice professionnelle ou non.
Par ailleurs, ce statut serait applicable dès lors que l’influenceur dépasserait un certain seuil d’audience. Aucune précision supplémentaire n’a été apportée sur ce critère pourtant déterminant dans la qualification du statut. La publication du décret devant fixer ce seuil sera donc absolument déterminant.
Pour autant, le régime prévu par ce projet n’est pas réellement innovant. En réalité, il reprend pour la majorité la réglementation déjà existante aux articles L.7123-1 et suivants du Code du travail relative au statut de mannequin. Dans la continuité de ce début de réglementation, le législateur vient encadrer le métier d’agent d’influenceur mais une fois encore d’une façon relativement similaire aux dispositions déjà existantes concernant les agents de mannequins.
En outre, le texte précise que le statut d’influenceur ne serait pas un régime exclusif et pourrait être qualifié en plus du statut de mannequin. Au regard de sa ressemblance avec les dispositions des articles L.7123-1 et suivants énoncés précédemment, il est possible de s’interroger sur la pertinence de ce projet de loi. Force est de constater qu’il ne propose pas de réelle innovation ou un réel encadrement des pratiques et du statut d’influenceur mais seulement une reconnaissance de l’activité d’influenceur détachée de l’activité du mannequinat.
Enfin, le législateur souhaite imposer la signature d’un contrat de mandat entre l’influenceur et son agent, mais également entre l’influenceur et l’annonceur. Le projet de loi impose également que le contrat contienne un certain nombre de mentions obligatoires, notamment concernant la rémunération de l’agent. L’irrespect de ce formalisme serait sanctionné pénalement.
Les dispositions du Code du travail concernant les agents d’artiste ne prévoient pas de dispositions explicites imposant une signature d’un mandat écrit. Le Code prévoit simplement que l’activité “consiste à recevoir mandat à titre onéreux d’un ou plusieurs artistes aux fins de placement”. Aucune précision n’est faite concernant les agents de mannequin. Le législateur viendrait donc instaurer un véritable formalisme dans les relations contractuelles entre l’influenceur et son agent mais également les annonceurs.
Ce projet de loi met donc l’accent sur la qualification d’un statut d’influenceur sans réellement créer de régime social spécifique. Cependant, au-delà de l’aspect social, le droit de la consommation fait également partie des domaines dont le législateur souhaite se saisir. En effet, de nombreuses affaires d’escroquerie et de pratiques commerciales trompeuses sont intervenues ces dernières années, venant mettre en lumière la nécessité d’encadrer l’activité commerciale des influenceurs. Le deuxième projet de loi déposé en décembre 2022 se saisit plus précisément de ces questions.
III. RAPPEL DE LA LÉGISLATION EN VIGUEUR AUJOURD’HUI
A. QUEL STATUT POUR LES INFLUENCEURS ?
Le statut des influenceurs n’est actuellement pas prévu par le Code du travail. En effet, aucune disposition dudit code ne fait référence à ce nouveau métier, qui ne prévoit donc pas de régime social spécifique.
Sont d’ailleurs considérés comme influenceurs aujourd’hui au sens du Code, les acteurs de télé-réalité, les youtubeurs, les streamers et plus généralement tous les créateurs de contenu en ligne indépendamment de leur ligne éditoriale. De ce fait, l’activité d’influenceur peut aujourd’hui être rattachée à plusieurs régimes selon le contenu que le créateur met en ligne sur les réseaux.
1. Le régime des mannequins
Tout d’abord, les influenceurs peuvent bénéficier du statut social de mannequin prévu par les articles L.7123-1 et suivants du Code du travail. Les dispositions du code disposent que le mannequin est chargé soit de présenter au public par reproduction de son image, un produit, un service ou tout message publicitaire, soit de poser comme modèle. Il est possible de bénéficier de ce statut même dans le cadre d’un exercice occasionnel et non professionnel de l’activité de mannequin.
En réalité, le statut de mannequin est celui qui se rapproche le plus de l’activité des influenceurs sur les réseaux sociaux tel qu’Instagram, où l’objectif de leurs publications est de promouvoir un produit ou un service dans le but d’engendrer des ventes au bénéfice des annonceurs.
Néanmoins, ce régime n’est pas idéal puisqu’il exige la délivrance d’un certificat médical et instaure une présomption de salariat entre le mannequin et l’agence ou directement auprès de la marque elle-même, ce qui dans la pratique semble difficile à appliquer à l’activité d’influenceur.
2. Le statut d’artiste
Par ailleurs, les influenceurs peuvent également se prévaloir de la qualité d’artiste-auteur ou d’artiste du spectacle en fonction du contenu créé. L’article L.7121-2 du Code du travail prévoit ce statut pour les artistes lyriques, dramatique, chorégraphique, musicien, chansonnier, ou toutes les personnes dont l’activité est reconnue comme métier d’artiste-interprète. Ainsi, cette liste non exhaustive du métier d’artiste du spectacle permet d’inclure beaucoup de créateurs de contenu différent dès lors que leurs créations révèlent un travail artistique particulier. Les créateurs de contenu bénéficient notamment de ce statut de par les conditions générales d’utilisation des plateformes. Dans le cas de la plateforme Youtube, les créateurs perçoivent des droits d’auteur grâce aux vidéos qu’ils postent sur le site.
Néanmoins, il est rare que les influenceurs fassent l’usage de ce statut puisqu’ils exercent bien souvent en auto-entreprise, ils ne bénéficient donc pas de l’application de ce statut basé sur la présomption de salariat.
B. QUEL ENCADREMENT POUR LES PRATIQUES COMMERCIALES DES INFLUENCEURS ?
De même que le Code du travail trouve application même si ces dispositions n’ont pas spécifiquement été créées pour les influenceurs ; le code de la consommation s’applique également aux pratiques commerciales des influenceurs. Et notamment les dispositions protectrices concernant les pratiques commerciales trompeuses et abusives qui s’appliquent sans condition de statut.
À ce jour, les pratiques commerciales sont considérées comme trompeuses dès lors qu’elles créent une confusion avec un autre bien, service ou marque, mais également lorsqu’elles reposent sur de fausses indications de nature à induire en erreur le consommateur. Ces pratiques sont punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000€ d’amende selon les dispositions du Code de la consommation.
En ce début d’année 2023, une plainte collective de plus de 80 victimes a été déposée par le collectif AVI à l’encontre du couple d’influenceurs BLATA pour escroquerie en bande organisée suite à la promotion de projet NFT et de sites de trading. Ce dernier projet de loi est une réponse à ce genre d’affaires puisqu’il permettrait un encadrement des pratiques concernant les produits financiers et assurerait une sécurité minimum pour les consommateurs.
II. UN SECOND PROJET DE LOI DIFFICILE À METTRE EN APPLICATION
Une seconde proposition de loi a été déposée en date du 27 décembre 2022, visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. À l’inverse du premier projet de loi présenté précédemment, celui-ci a vocation à légiférer sur les pratiques commerciales des influenceurs.
Dans un premier temps, ce projet entend également apporter une définition de l’activité, cette fois-ci plus commerciale, de l’influenceur. Il est proposé de définir l’influenceur comme :
“Toute personne physique ou morale qui fait la promotion directement ou indirectement de produits, actes ou prestations contre rémunération, y compris lorsque celle-ci est constituée par des avantages en nature, de manière active sur les réseaux sociaux et qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique dispose d’une audience pouvant influencer la consommation du public exerce l’activité d’influenceur”.
Cette définition n’est pas totalement en adéquation avec la définition proposée par le premier projet de loi.
La première distinction qui est faite entre ces deux définitions repose sur la régularité de l’activité. Dans le premier projet de loi, une personne exerçant à titre occasionnel pouvait bénéficier du statut d’influenceur, or dans ce second projet de loi, le législateur indique que l’influenceur doit agir de manière active, c’est-à-dire de façon régulière. Le second point divergent entre les deux définitions repose sur la notion d’audience. Dans ce second projet de loi, il ne s’agit pas de fixer un seuil d’audience minimal, ce qui apparaît très rigide, mais bien de prendre en considération la position et l’exposition médiatique caractérisant l’audience de l’influenceur. À l’inverse, cette vision de l’audience reste difficile à envisager dans la pratique tant qu’il n’a pas été établi comment est mesuré une audience et une exposition médiatique. Il n’y a aucun renvoi de fait à un décret dans ce second projet de loi concernant la mesure de cette audience, cela laisserait présager que seul le juge pourrait la délimiter et ainsi qualifier si la personne est un influenceur ou non.
Dans un second temps, le projet de loi vient dresser une liste expresse de produits, de biens et de services qui ne pourront être proposés et mis en avant par les influenceurs. Il s’agit notamment, de produits financiers, pharmaceutiques, chirurgicaux. Le législateur souhaite interdire aux influenceurs de réaliser des placements de produit pour ces produits d’une façon générale.
Néanmoins, le texte prévoit une exception : ces publicités seront autorisées dès lors qu’il est indiqué par un bandeau visible que cette publicité s’adresse à un public majeur et averti. Ces dispositions permettraient de prévenir certains abus et d’éviter au consommateur une perte financière ou un dommage physique important.
Cependant, il apparaît une nouvelle fois difficile de mettre en place dans la pratique ces dispositions. La seule présence d’un bandeau serait inefficace s’il n’y a pas de véritable moyen de restriction dans l’audience des influenceurs. Ces restrictions ne pourront être mises en place que par les plateformes. Cela reviendrait à s’assurer pour les plateformes que chaque utilisateur respecte les conditions générales d’utilisation des réseaux et à mettre en place un système assurant que le jeune public ne puisse pas accéder à ce contenu.
Ces deux projets de loi représentent une avancée non négligeable pour l’encadrement du métier d’influenceur. Ils introduisent concrètement en droit positif le statut d’influenceur et démontrent une véritable volonté politique d’encadrer ces nouveaux métiers afin d’éviter les dérives.
Cependant, l’encadrement proposé nous semble incomplet voire inefficace aux regards notamment des enjeux de protection du consommateur. En outre, aucun statut social et fiscal spécifique n’est finalement proposé pour encadrer ces nouvelles pratiques qui restent encore mal appréhendées par le législateur. Si ces deux projets de loi sont une véritable avancée ne serait-ce que pour la reconnaissance d’un véritable besoin d’encadrement spécifique, il n’en reste pas moins que le droit commun reste applicable en l’absence de législation spécifique. Il est donc nécessaire de faire un rappel du cadre légal applicable aujourd’hui aux influenceurs.
EN BREF
Le législateur désire se saisir des problématiques liées aux pratiques des influenceurs, c’est pourquoi il souhaite instaurer un début de régime social spécifique mais également réglementer leurs pratiques commerciales afin d’éviter les dérives. Pour le moment, ces projets n’en sont qu’au stade de propositions de loi, rien n’assure qu’elles seront un jour adoptées. Nos équipes suivent l’évolution de ces projets et nous ne manqueront pas de vous tenir informés des avancées !