La nouvelle obligation d’honorabilité pour les encadrants jeux vidéo/Esport
Focus sur la nouvelle obligation d’honorabilité applicable à l’Esport. De quoi s’agit-il ? Pourquoi faire ?
La protection des pratiquants de jeux vidéo, surtout mineurs, contre toutes formes de violences et d’abus a été inscrite dans la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France1. Etant rappelé que cette loi porte sur l’amélioration de la gouvernance des fédérations sportives et la sécurisation des conditions d’exercices du sport professionnel.
Ainsi, la lutte contre les violences et la discrimination, sujet essentiel au sein du mouvement sportif, a été étendue aux compétitions de jeux vidéo.
Désormais, l’article 102-1 de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 relatif aux compétitions de jeux vidéo, impose une obligation d’honorabilité aux dirigeants et encadrants (enseignants, animateurs, arbitres, coachs…) de structures esportives.
Nous allons d’abord définir la notion d’honorabilité (I) avant d’appréhender ses contours dans l’Esport (II) puis d’analyser d’où vient cette nouvelle obligation (III).
I. Qu'est-ce que l'honorabilite ?
Si l’on se réfère au sens commun du terme, l’honorabilité est définie comme la “qualité d’une personne dont la conduite est conforme à une norme morale socialement établie”. En d’autres termes, il s’agit de l’honnêteté, de la respectabilité ou encore de la loyauté et de l’intégrité d’un individu.
Cependant, l’expression d’honorabilité professionnelle est également employée au sens légal et juridique. En effet, l’exercice d’un certain nombre de professions, telles que les avocats ou les intermédiaires en assurance, est soumis à des conditions d’honorabilité. Dans ce cadre, l’honorabilité implique une probité et une éthique professionnelle irréprochables. Cette dernière consiste essentiellement en l’absence de condamnation à des sanctions pénales ou administratives.
Finalement, on constate que le terme d’honorabilité est plutôt défini par la négation. En effet, seules les caractéristiques de la “non-honorabilité” sont mises en avant au travers d’un certain nombre de contraintes et interdictions.
II. Les contours de l'honorabilité dans l’Esport
A -Les bases légales
Selon la loi, nul ne peut enseigner, animer ou encadrer une activité de jeux vidéo, entraîner ses pratiquants, exercer des fonctions d’arbitre ou de juge ou encore intervenir auprès de mineurs au sein d’un établissement dans lequel sont pratiquées des activités de jeux vidéo s’il a fait l’objet d’une condamnation. Cette peine porte effectivement sur un certain nombre de crimes ou délits : assassinat, viol, violences, agression sexuelle, harcèlement, discrimination, trafic de stupéfiants, terrorisme….
Sachons que cette interdiction d’exercice est valable pour toute activité d’encadrement esportif, qu’elle soit :
principale ou secondaire,
habituelle, saisonnière ou occasionnelle,
à titre rémunéré ou bénévole.
En outre, notons que les jeunes joueurs sont particulièrement protégés par la loi qui souhaite assurer leur sécurité physique et mentale.
En effet, les textes prévoient qu’outre l’interdiction susvisée, nul ne peut intervenir auprès de mineurs s’il a fait l’objet d’une mesure administrative d’interdiction ou de suspension pour avoir participé à la direction et à l’encadrement de centres de vacances et de loisirs, ainsi que de groupements de jeunesse.
Par conséquent, l’honorabilité s’impose à tous les encadrants de l’Esport, éducateurs ou dirigeants, qu’ils soient professionnels ou bénévoles.
B - Les fonctions concernées
La loi vise, de façon générale, les personnes qui enseignent, animent ou encadrent une activité de jeux vidéo, entraînent leurs pratiquants ou encore interviennent auprès des mineurs. Les joueurs professionnels de jeux vidéo et le public ne sont donc pas visés.
Cependant, à l’exception des postes de juge et d’arbitre2 expressément mentionnées, aucune autre fonction précise n’a été clairement identifiée par le législateur.
Il nous semble cependant que sont concernés les postes habituels de direction et d’encadrement dans l’Esport telles que celles de:
dirigeant de club,
coach,
manager,
animateur,
administrateur de tournoi…
Cela étant, d’autres fonctions sont exercées directement auprès des joueurs, majeurs ou mineurs. On pense particulièrement aux professionnels de la santé et paramédicaux (médecins, nutritionnistes, psychologues, kiné…).
Dès lors, on peut s’interroger sur la nature et le périmètre des fonctions exactes soumises à l’obligation d’honorabilité.
C - L’absence de contrôle
L’obligation d’honorabilité constitue certainement une avancée majeure pour l’écosystème Esport et Gaming.
Cependant, aucun contrôle d’honorabilité n’a été prévu dans les textes. On ignore donc quelles pourraient être les modalités de contrôle, et dans ce cas, quelles seraient la ou les instances qui pourraient effectuer une telle vérification.
En outre, aucune sanction n’a été envisagée par le législateur en cas de non-respect des dispositions édictées concernant l’honorabilité.
Ainsi, le secteur de l’Esport reste dans l’attente d’un décret d’application qui pourrait, seul, venir préciser la loi et répondre aux questions laissées en suspens. D’ailleurs, l’article 56 de la loi du 2 mars 2022 dispose qu’“un décret en Conseil d’Etat précise les modalités d’application”.
Il convient toutefois de noter que la mise en place d’un contrôle ne sera pas facile. En effet, la structuration du sport étant différente de celle de l’Esport, il n’existe ni fédération ni licenciés. Par conséquent, il n’est pas possible de transposer les modalités de contrôle via les fédérations sportives et leur ministère de tutelle, celui des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. L’Etat devra donc réfléchir à un nouveau système de contrôle qui serait adapté, ce qui ne sera pas une tâche aisée.
Par ailleurs, de plus en plus de sportifs étant reconvertis dans l’encadrement Esportif, il serait intéressant de pouvoir croiser les fichiers des personnes concernées.
III. Les origines : une transposition de la législation sportive
A -La prévention des violences et abus sexuels
C’est par une ordonnance de 20063 que l’obligation d’honorabilité est apparue dans le Code du Sport, notamment à l’article L212-9 4. Elle fait suite à la révélation de nombreuses affaires d’abus sexuels. On se souvient notamment des victimes de ces violences, telles que la joueuse de tennis Isabelle Demongeot ou encore la patineuse Sarah Abitbol.
D’ailleurs en 2008, les acteurs du mouvement sportif ont adopté une charte relative à la prévention des violences sexuelles, sous l’égide du Ministère des Sports et du CNOSF5.
Dans un premier temps, l’obligation légale d’honorabilité a concerné d’une part, les éducateurs sportifs (titulaires d’un diplôme6) et d’autre part, les exploitants d’établissements d’activités physiques et sportives (EAPS) qui disposent d’une licence7. De nombreuses structures ont donc été concernées : fédérations, clubs de sport, centres de vacances ou de loisirs…
Entretemps, le milieu sportif a subi une sévère recrudescence d’agressions sexuelles8. C’est ainsi qu’en 2020, Roxana Maracineanu a organisé la première Convention nationale de prévention des violences dans le Sport9. Cette convention est désormais tenue chaque année.
De toute évidence, c’est pour faire face à la gravité de cette situation que l’honorabilité a, dans un second temps, été étendue aux éducateurs sportifs bénévoles licenciés (moniteurs, coach, entraîneurs, préparateurs physique…).
Par conséquent, toutes ces personnes ne peuvent exercer leurs fonctions, que ce soit à titre rémunéré ou bénévole, si elles ont fait l’objet d’une condamnation pénale ou d’une mesure de police administrative.
B - Les modalités de contrôle
Le “SI Honorabilité”, service automatisé de traitement des données personnelles, a été mis en place par un arrêté du 31 mars 202110. Ce système a été créé à l’initiative du Ministère chargé des Sports.
En pratique, la vérification porte sur le bulletin n°2 du casier judiciaire ainsi que sur le FIJAIS (fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes).
Il faut cependant préciser que les fédérations ne contrôlent pas directement l’honorabilité des éducateurs sportifs ou des exploitants d’établissements.
En effet, ces dernières ne sont autorisées qu’à recueillir et transmettre aux services de l’Etat, les informations relatives à l’identité des licenciés concernés, après les avoir informés de l’existence de ce contrôle. Ce sont ensuite les services de l’Etat en charge du sport et de la justice qui vont croiser lesdites informations pour s’assurer de l’absence de condamnation11.
En cas de détection d’une incapacité d’exercer, les services de l’Etat font remonter l’information auprès de la fédération intéressée. Ils notifient également la décision à la personne concernée et, le cas échéant, à sa structure.
C - Les sanctions
Le non-respect de l’obligation d’honorabilité est susceptible d’entraîner des sanctions pénales, à savoir un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende12.
La structure employeur peut également procéder au licenciement de l’encadrant frappé d’incapacité d’exercice.
Cependant, d’autres sanctions plus sévères peuvent être infligées lorsque des faits de viol, d’atteinte ou d’agression sexuelle sont poursuivis.
Ainsi, en 2014, l’ancien entraîneur de tennis Régis de Camaret avait été condamné à dix ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises du Var pour avoir violé deux pensionnaires mineurs de son club13.
On se souvient également des affaires Gilles Beyer (entraîneur de la patineuse Sarah Abitbol14) et Yannick Agnel15, qui ont fait l’objet de mises en examen.
CONCLUSION
Le nouveau principe d’honorabilité des encadrants évoluant dans l’Esport a été largement inspiré par celui existant, depuis 2006, dans le secteur sportif.
Même si le contrôle de honorabilité n’a pas encore été défini, les structures esportives ont intérêt à être vigilantes concernant les comportements déviants de leurs encadrants. En effet, tout incident pourrait être susceptible d’entraîner la mise en cause de leur responsabilité personnelle, civile ou pénale.
Il est donc fortement conseillé de demander le bulletin de casier judiciaire n°2 de la personne concernée, sous réserve de remplir les conditions prévues par l’article 776 du Code pénal.
A défaut et à minima, il conviendrait de faire signer, à tout encadrant de jeux vidéo, une déclaration d’honorabilité sur l’honneur.
Références
1 : En février 2022, GAME AND RULES avait interviewé le sénateur Savin dans le cadre de la proposition de loi sur la démocratisation du sport.
2 : Il s’agit d’un terme usité dans le sport : le juge-arbitre est celui qui est chargé de l’organisation arbitrale et de la surveillance des compétitions.
3 :Ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006 relative à la partie législative du code du sport
4 : Cet article a été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 7 mai 2021
5 : Charte relative à la prévention des violences sexuelles
6 : Code du sport, article L 212-1
7 : Code du sport, article L 322-1
8 : Plus de 610 cas ont été recensés depuis 2020 (ici)
9 : Convention nationale de prévention des violences dans le sport
11 : Code du sport, article D 131-2-1
12 : Code du sport, article L 212-10
13 : Condamnation pénale de Régis de Camaret
14 : https://www.leparisien.fr/sports/violences-sexuelles-gilles-beyer-ex-entraineur-de-sarah-abitbol-vise-par-une-information-judiciaire-08-01-2021-8417925.php
15 : https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/justice-yannick-agnel-mis-en-examen-pour-viol-sur-mineure_4878525.html