[INTERVIEW] Sénateur Michel SAVIN : Sa proposition de loi Esport

GAME AND RULES s’est rapproché de Michel Savin, Sénateur LR de l’Isère et Président du groupe d’études

Déborah AFLALO

2/7/20228 min read

Nos questions à M. le sénateur MICHEL SAVIN

GAME AND RULES. – Monsieur le Sénateur, toute l’équipe GAME AND RULES vous remercie d’avoir accepté de vous prêter à cette interview.

Avez-vous une sensibilité et une appétence particulière pour l’Esport ? Avez-vous l’occasion de jouer à des jeux vidéo ?

Michel SAVIN. – A titre personnel je n’ai pas d’appétence particulière pour l’esport en tant que joueur. Je ne joue pas aux jeux vidéo.

Cependant, j’ai une sensibilité et une appétence particulière pour l’esport en tant que phénomène social. J’ai suivi l’émergence de cette discipline via les médias, et j’ai également eu l’occasion de me rendre à la Paris Games Week avec ma collègue Christine Lavarde. Nous avons été extrêmement impressionnés par le nombre de jeunes présents, par la ferveur et la dimension de cet évènement.

GAME AND RULES. – Il est tout à votre honneur de vouloir encadrer et accompagner les joueurs professionnels d’Esport dont le statut a été reconnu par l’article 102-I de la loi de 2016. Cela étant, ne craignez-vous pas que certains acteurs de l’Esport ne se sentent stigmatisés par le choix du titre de votre proposition de loi visant un E-sport « sain et responsable » ?

Michel SAVIN. – Bien au contraire, le but de la proposition de loi est d’aboutir à une reconnaissance des joueurs de jeux vidéo de haut niveau et de protéger les jeunes générations. En effet, de nombreux joueurs mineurs sont en difficulté ou en décrochage scolaire du fait d’un non encadrement, il faut donc créer un cadre comme pour les autres sports.

GAME AND RULES. – Selon vous, qui avez pratiqué le basket, pensez-vous qu’il existe des aptitudes et compétences communes au sport et à l’Esport ?

Michel SAVIN. – Je pense que toute pratique sportive demande des aptitudes similaires. Si le esport peut être critiqué, notamment sur les questions de sédentarité par exemple, mais je pense que les joueurs de haut et très-haut niveau, qui représentent la France au plus haut niveau international, on des schémas d’entrainements et des rythmes très similaires avec la pratique du basket à haut-niveau.

Je suis pleinement conscient de l’engagement des jeunes dans une telle discipline. Quand bien même des questionnements légitimes peuvent être soulevés, je pense que nous devons accompagner le développement de cette nouvelle pratique.

GAME AND RULES. – Comme vous le savez, le député Christophe Naegelen a présenté, en septembre 2021, une proposition de loi visant un développement sain et responsable de la pratique de l’e-sport en France et notamment l’inscription des e-sportifs sur des listes de joueurs de haut-niveau et de joueurs espoirs. Pensez-vous qu’une telle proposition, si elle était adoptée par l’Assemblée nationale, pourrait recevoir un accueil favorable du Sénat lors de la navette parlementaire ?

Michel SAVIN. – En tant que législateur, il nous a semblé important de nous saisir de ce sujet. Je pense que beaucoup de travaux doivent encore être menés. Je connais l’engagement de certains de mes collègues parlementaires, et je connais également l’engagement des acteurs à vouloir structurer cette nouvelle filière.

Ce qui est certain, c’est que nous n’échapperons pas à un débat dans les prochaines années, et je souhaite que nous puissions l’avoir, c’est notre rôle. A titre personnel, je serais totalement favorable à l’examen d’un texte de loi sur le sujet.

Cependant, il me semble que le sujet doit être traité dans son ensemble : classification de cette discipline esportive, gouvernance, structuration de la filière, protection et accompagnement des pratiquants, …
Avec Christine Lavarde nous avons d’ailleurs défendu à plusieurs reprises l’harmonisation des taux de TVA sur le sport.

Je défendrai cette vision auprès de mes collègues si un débat devait avoir lieu et j’y prendrai toute ma part.

GAME AND RULES. – Évoquons à présent l’article de la PPL Sport qui met en place un contrôle de l’honorabilité des encadrants de l’Esport. Un dispositif similaire qui a été récemment instauré dans le sport repose sur un traitement automatisé des données à caractère personnel dénommé « SI d’honorabilité »4. Étant précisé que ces données sont recueillies par les fédérations sportives afin de permettre aux services de l’Etat de procéder à ce contrôle. En l’absence de fédération Esportive à l’heure actuelle, comment ce contrôle pourrait-il intervenir et quels moyens pourraient y être affectés ?

Michel SAVIN. – Lors des travaux sur la PPL Démocratiser le sport de ces derniers mois, nous avons eu deux réflexions parallèles. Un dispositif applicable au sport de manière générale de contrôle de l’honorabilité des encadrants était présent. Nous nous sommes questionnés sur la possible nécessité d’étendre ou de renforcer ce dispositif.

Et au fil de nos recherches, et de l’actualité, nous avons remarqué que le esport ne rentrait pas dans le champ d’application.

Or le esport est largement pratiqué par les mineurs, et il nous a semblé plus que nécessaire que les même contrôles puissent être effectués, pour éviter que des prédateurs puissent se reconvertir dans le esport.

Il nous a semblé nécessaire de légiférer et donner les moyens aux acteurs de s’emparer de ce sujet, sans attendre qu’un scandale éclate. Anticipons !

Le dispositif sur le fond est le même que celui s’appliquant pour le mouvement sportif. Cependant, la loi ne rentre pas dans le niveau de détails de l’application de ce contrôle. Cela est renvoyé au Conseil d’Etat, qui le précisera par décret après concertation des acteurs. Etant donné qu’il n’y a pas de fédération reconnue, un nouveau dispositif va être imaginé pour le champ du esport, et je n’ai pas de doute que celui-ci sera aussi robuste que pour le sport. C’est un enjeu de sécurité fort pour tous les pratiquants.

GAME AND RULES. – Certaines voix se sont élevées notamment celles de l’association France Esports pour dénoncer l’inadaptation de certaines dispositions législatives dont le CDD Esport mais aussi pour souligner les nombreuses questions restant en suspens (absence de réglementation des compétitions de jeux vidéo en ligne, formation des encadrants Esport, reconversion des joueurs professionnels, fiscalité…). Ces questions ont-elles été prises en compte, voire débattues ?

Michel SAVIN. – Le domaine du esport ne faisait pas partie du champ de la proposition de loi que nous débattions. Nous avons parlé de l’honorabilité des encadrants car un dispositif était présent dans le texte initial sur ce sujet très précis.

Comme je vous le disais, je pense qu’un travail de fond doit être mené sur le esport, sur les dispositions applicables à ce champ d’activité, sur sa structuration. Au regard de l’important essor du esport, de son poids économique, et de sa reconnaissance planétaire, ce sujet doit faire l’objet d’un travail spécifique et d’un texte dédié.

GAME AND RULES. – La PPL Sport contient de belles avancées pour le mouvement sportif. Certaines dispositions n’auraient-elles pu être transposées voire adaptées à l’Esport ? Par exemple, les articles ayant trait à l’interdiction de signes religieux ostensibles pour la participation aux évènements publics ou encore à la liberté de retransmission des évènements d’importance majeure.

Michel SAVIN. – Je partage votre constat. Mais en l’absence de structuration du esport et en l’absence de fédération, il est compliqué de mettre en place de telles dispositions. Je suis très fier que nous ayons pu aborder le sujet du esport dans le texte, ce n’était pas gagné. Je suis un fervent partisan du travail par étape. C’était une première étape, mais nous y reviendrons très rapidement. Les sujets que vous évoquez sont déterminants pour l’avenir.

GAME AND RULES. – Le sport français est bâti sur un modèle fédéral avec un système de délégation de service public par discipline sportive. L’Esport connaît une différence de gouvernance dominée par les éditeurs de jeux vidéo qui en ont la propriété intellectuelle exclusive. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Michel SAVIN. – La gouvernance du mouvement sportif est plurielle, et des acteurs privés sont présents dans certaines fédérations. Je ne doute pas qu’un modèle gouvernance associant les éditeurs de jeux vidéo puisse être trouvé, en accord avec tous les acteurs de la discipline et l’État. Nous avons réussi à être innovants et agiles pour le milieu sportif, nous pourrons l’être à nouveau pour le esport

GAME AND RULES. – Si l’on peut se réjouir d’un large soutien de l’Etat pour le développement de l’industrie du jeu vidéo (production, R&D, innovation…), on constate parallèlement l’insuffisance de soutien au secteur Esport. D’ailleurs, nombre d’équipes et d’organisateurs de compétitions ne parviennent pas à trouver leur modèle économique. Quelles seraient les solutions envisageables ?

Michel SAVIN. – La difficulté de la structuration économique existe dans le sport de manière générale. Alors même que le sport est structurant pour l’économie française, que son impact sur le PIB est loin d’être négligeable, les difficultés sont nombreuses et quotidiennes pour le milieu sportif, tout comme le vôtre. Il faut que les mentalités évoluent, c’est en cours. Je ne doute pas que la structuration économique de ces domaines va se cristalliser dans la prochaine décennie.

GAME AND RULES. – Dans son ensemble, le secteur de l’Esport français subit la concurrence de nombreux pays étrangers notamment américains et asiatiques. Ne pensez-vous qu’il serait indispensable de se rapprocher de nos voisins et partenaires européens pour initier des discussions et peut-être même de tenter d’harmoniser nos législations ?

Michel SAVIN. – Évidemment qu’il faut une harmonisation européenne, sur ce sujet comme sur tant d’autres. La concurrence internationale est le signe de la puissance de cette activité au niveau global. Le esport participe au rayonnement de la France, nous devons en être fier et le soutenir.

GAME AND RULES. – Contre toute attente, l’Esport ne fait pas partie des quatre sports additionnels (surf, escalade, skateboard, breaking) ajoutés au programme Paris 2024. Pourtant, le Comité International Olympique (CIO) a annoncé que certains « sports virtuels » pourraient être médaillables aux JO de 2028, à Los Angeles. La France n’a-t-elle pas un train de retard ?

Michel SAVIN. – Les sports additionnels pour Paris 2024 ont fait beaucoup débat, vous le savez. 19 disciplines souhaitaient intégrer le programme des Jeux, pour 4 places seulement. Les disciplines choisies par Tony Estanguet sont spectaculaires, répondaient à une attente notamment de la jeunesse et permettaient de maitriser les coûts.

GAME AND RULES. – Monsieur le Sénateur, merci de nous avoir accordé cet échange.

Références

1 : Proposition de loi nº 4930, modifiée par le Sénat, visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d’exercice du sport professionnel

2 : Proposition de loi nº 3808 visant à démocratiser le sport en France

3 : tweet du sénateur Michel Savin au sujet des propositions de loi

4 : Arrêté du 31 mars 2021 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « SI Honorabilité »