Esport et Politique : une nouvelle vision de l’esport ?
Le 3 juin 2022, le Président Emmanuel Macron recevait au Palais de l’Elysée des acteurs majeurs de l’industrie des jeux vidéo et de l’Esport, en marge de la Trackmania Cup
Le 3 juin 2022, le Président Emmanuel Macron recevait au Palais de l’Elysée des acteurs majeurs de l’industrie des jeux vidéo et de l’Esport, en marge de la Trackmania Cup1.
Près de 200 personnalités du secteur étaient réunies autour du chef de l’Etat, de Cédric O, ancien secrétaire d’Etat chargé du numérique et des ministres : Rima Abdul Malak, à la culture et Amélie Oudéa-Castéra aux Sports et aux Jeux olympiques et paralympiques.
Les co-fondatrices de GAME AND RULES, Déborah Aflalo et Magali Dorado, ont eu l’honneur de figurer parmi les invités aux côtés de grandes figures du sport électronique, notamment : Adrien Nougaret (“Zerator”), Laure Valée, présentatrice et cofondatrice du média OTP, Fabien Devide (“Neo”), président et fondateur du Club Vitality, Kamel Kebir (“Kameto”) et Amine Mekri (“Prime”), co-fondateurs de la Karmine Corp ainsi que les joueurs professionnels William Belaïd (“Glutonny”) sur Super Smash Bros et Sébastien Debs (“Ceb”) sur Dota 2.
Les co-fondatrices de GAME AND RULES, Déborah Aflalo et Magali Dorado, en présence du Président emmanuel macron
I. Les enjeux socio-économiques et culturels sous-jacents
A - Les grandes compétitions de jeux vidéo
La réunion en l’honneur de l’Esport français à l’Elysée s’est tenue à une semaine du premier tour des élections législatives et surtout à la veille de la Trackmania Cup.
Il s’agit en effet d’une compétition internationale sur le jeu de course automobile édité par Ubisoft Nadéo. Il convient de rappeler que la ZrT Trackmania Cup a été fondée en 2013 par le streamer Zerator mais aussi qu’elle est organisée chaque année par l’agence ZQSD Productions.
La dixième édition de cet évènement2 s’est d’ailleurs tenue le 4 juin 2022 à l’Accord Arena de Bercy avec un cashprize de 2022 euros. Laquelle a réuni plus de 15 000 spectateurs en présentiel3 et 180 000 viewers connectés sur Twitch. Le breton Gwendal Duparc (“Gwen ») et le suisse Sébastien Affolter (“Affi”) ont finalement remporté la finale en duo.
Quelque temps auparavant, le Président de la République avait publiquement félicité les “fleurons français” du secteur Esport, notamment les équipes Vitality et Karmine Corp.
Ainsi, à l’occasion de la victoire de la Kcorp aux European Masters sur LOL, Emmanuel Macron écrivait sur Twitter : “Chère équipe KarmineCorp, Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je ne suis pas un expert en League of Legends, mais j’ai tenu à vous adresser ce message, après avoir appris votre belle victoire. En tant que Champions d’Europe, vous mettez notre drapeau à l’honneur. Vous montrez à toute l’Europe que les Français ont du talent dans l’esport. Alors un grand bravo à toute l’équipe !” 4
Il y a peu, la même Kcorp a annoncé qu’elle se produira à l’Accor Hôtel Arena de Bercy, lors de la deuxième édition du KCX (Karmine Corp Experience). En effet, elle jouera deux matchs de championnat de France : l’un contre Vitality sur le jeu Valorant et l’autre contre Misfits sur LOL5. En outre, la Kcorp s’est récemment qualifiée aux RLCS (Rocket League Championship Series Spring Split) de la région Europe pour le dernier Major à Londres.6
Enfin, il faut se souvenir également que le Président Macron avait salué la mobilisation des organisateurs et participants d’événements Esport caritatifs, notamment le Zevent7 et Pixel War8.
B - Les jeux olympiques Paris 2024
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait considéré les JO de 2024 comme étant une « opportunité historique ».
Il poursuivait : « À nous d’en profiter pour faire le lien entre les Olympiades des deux mondes en accueillant cette année-là les plus grands événements esportifs mondiaux : un Major de CS : GO, les Worlds de League of Legends et The International de Dota 2”.
Cela étant, il convient de préciser que l’Esport n’a pas été retenu parmi les sports additionnels qui figureront au programme des JO 2024. En revanche, le Comité international olympique (CIO) a intégré l’escalade, le skateboard et le surf dans la liste des 28 sports olympiques.
On se souvient cependant qu’en 2018, un tournoi sur StarCraft II avait été organisé par ESL en marge des Jeux Olympiques d’hiver de Pyongyang en Corée du Sud. La victoire avait d’ailleurs été remportée par Sacha Hostyn (“Scarlett”), une joueuse canadienne, dans le cadre de l’Intel Extreme Masters (IEM)9.
Puis, en prélude des JO d’été de Tokyo 2020, une expérience digitale de sports virtuels avait été organisée. En effet, les Olympic Virtual Series (OVS) avaient été lancés autour du baseball, de l’aviron, du cyclisme, de la voile et du sport auto. Le Président du CIO, Thomas Bach, avait déclaré au sujet des OVS : “Sa conception est en phase avec l’Agenda Olympique 2020+5 et la stratégie numérique du CIO. Elles encouragent la pratique du sport et promeuvent les valeurs olympiques avec une attention particulière sur la jeunesse”10.
Toujours aux JO de Tokyo, s’est déroulée l’Intel World Open, une compétition exclusivement en ligne en raison de la Covid 19. L’équipe Vitality y a remporté la médaille d’or (symbolique) sur Rocket League11.
Pour finir, l’Esport devrait être médaillable aux JO de Los Angeles en 202812. Cependant, Kit McConnell, le directeur des sports du CIO, a indiqué que le “programme olympique (…) se concentre aujourd’hui sur les formes électroniques de sports traditionnels”13.
Par conséquent, les jeux esport les plus populaires comme LOL, Overwatch, Call of Duty ou encore CS:GO ne seront pas inscrit au programme.
II. La reconnaissance institutionnelle de l’Esport
A - Par le gouvernement français
L’accueil officiel et solennel à l’Elysée des représentants de l’industrie des jeux vidéo et de l’Esport constitue un pas historique.
A l’ouverture de la cérémonie, le Président de France Esports, Désiré Koussawo, s’est d’ailleurs exprimé en ces termes : “Cela fait plus de 20 ans que la scène Esport française cherche la reconnaissance des pouvoirs publics”.
La Présidence de la République confirme “avoir ce geste de reconnaissance pour la discipline” et ajoute qu’il s’agit d’une “célébration pour les champions français”. Emmanuel Macron poursuit : “Aujourd’hui commence une nouvelle ère. Pas simplement pour vous reconnaître, mais aussi pour vous aider à vous structurer, à avancer et progresser”.
Déjà, dans le cadre de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait cité l’Esport comme étant un « domaine d’excellence française » participant au “rayonnement de la France”, « un secteur qui a une vraie communauté constituée et qui, loin des clichés, porte de belles valeurs ». Il avait également endossé le sweat-shirt de Vitality, lors d’une visite au Touquet.
Dans le même esprit, on se souviendra que les “Assises de l’Esport” avaient été organisées en 2019 par la Direction Générale des Entreprises (DGE) et le ministère des sports pour réfléchir à la structuration de l’écosystème de l’esport français.
En définitive, une feuille de route interministérielle, intitulée “Stratégie Esport 2020-2025”, avait été établie dans l’objectif de faire de la France le leader européen du secteur à horizon 202514.
En effet, ce programme s’articule autour de 4 axes :
promouvoir le développement d’une pratique esportive responsable et socialement valorisée
accompagner la création d’un parcours de formation pertinent, avec une attention particulière portée aux joueurs de haut niveau
mettre en place une politique de soutien au développement des acteurs français de l’Esport
mettre en valeur l’attractivité de la France, de ses territoires et de son écosystèmes de l’Esport, auprès des acteurs de la filière et des investisseurs
Cependant, force est de constater que cette stratégie, souvent méconnue, n’a pas déterminé les moyens de mise en œuvre ni alloué de budgets spécifiques pour ce faire. D’ailleurs, le chef de l’Etat ne l’a pas mentionnée lors de la réception à l’Elysée.
Pour l’instant, seules quelques rares collectivités territoriales, comme celles de Paris, de Poitiers ou de la Région Bretagne, ont agi concrètement en faveur de l’Esport. Toutefois, la majorité des initiatives (non fondées sur cette stratégie) revient au secteur privé.
En outre, il existe des lacunes et failles juridiques, dont certaines ont déjà été pointées par le groupe de travail sur l’e-sport à l’Assemblée nationale, présidé par le député LREM Denis Masséglia15.
A cet égard, l’une des problématiques juridiques la plus sensible est sans doute celle du contrat de joueur professionnel. En effet, il faut rappeler que le CDD Esportif existant n’est pas suffisamment adapté au secteur des compétitions de jeux vidéo. C’est d’ailleurs à ce sujet que Prime de la Kcorp s’est exprimé : “Nous avons besoin de vrais contrats, comme dans le sport. La Karmine est un club qui veut devenir une institution, aller plus haut, plus loin”16.
B - Par le Parlement européen
En mai 2022, un projet de rapport européen sur les jeux vidéo et l’Esport a été porté devant la Commission de la culture et de l’éducation (CULT) du Parlement Européen.
Ce projet a été présenté par la voix de son rapporteur, Laurence Farreng. Il s’agit d’une députée européenne, qui est membre du mouvement démocrate français et de Renew Europe, un des groupes politiques du Parlement européen.
Il est d’abord intéressant de constater que le Parlement Européen tend à positionner le secteur jeux vidéo et Esport sur le terrain prédominant de la culture et de l’éducation. Même si le projet indique expressément que “Les opinions exprimées dans ce document relèvent de la seule responsabilité de l’auteur ou des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position officielle du Parlement européen”.
A contrario, le positionnement français se situe au confluent du numérique et du sport mais également, plus récemment, de la culture. Le Président considère à présent que “le jeu vidéo est un composant important du soft power culturel français, de l’image de notre pays à travers le monde”17. Il évoque d’ailleurs des “synergies” existantes et des “infrastructures à réinventer” (salles de cinéma, stades…) en raison du changement des usages.
Ensuite, les eurodéputés pointent la difficulté d’élaboration d’une définition “standard” des “sports électroniques”, notamment en raison de la pluralité des jeux vidéos existants et de l’absence de Fédération représentative du secteur Esport qui serait unie par les mêmes intérêts.
Le projet européen s’attache enfin à mettre en exergue “les opportunités et les défis” auxquels est exposé l’écosystème dans son ensemble.
En tout état de cause, les bases d’un cadre européen pour le secteur Esport sont posées. Il faudra attendre les résultats du vote du projet de rapport prévu pour le 29 septembre 2022.
Dans un communiqué sur Twitter, Laurence Farreng présente à la cérémonie de l’Elysée à indiqué “Le jeu vidéo est devenu la première industrie culturelle et créative française, forte des 38 millions de joueurs français, et de ses 700 studios de développement partout sur notre territoire. Je salue l’ambition montrée par le Président pour les jeux vidéo et pour l’esport, qui sont un excellent moyen pour la France et l’Union européenne de rayonner dans le monde, en diffusant notre culture européenne et en mettant en avant l’excellente qualité de nos créations”.
CONCLUSION
L’industrie des jeux vidéo et de l’Esport a gagné en légitimité et en crédibilité. Les grands enjeux sociaux, économiques et culturels ont été identifiés et mis en exergue. Il convient à présent de piloter, optimiser et consolider cette position pour atteindre la place tant convoitée de leader en Europe.
Nous sommes effectivement à un moment charnière au niveau français mais aussi européen. Il faut d’ailleurs souligner que le Parlement européen devrait bénéficier prochainement d’un “droit d’initiative législative général et direct”. En d’autres termes, il s’agit du droit de proposer des textes de loi, ce qui permettrait de renforcer la démocratie de l’Union européenne et de rétablir l’équilibre institutionnel18.
Les dispositions et actions de terrain qui seront entreprises sont donc attendues avec intérêt, voire impatience.
Références
1 : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/06/03/reception-en-lhonneur-de-lesport-francais
2 : Zerator a annoncé qu’il n’y aurait pas de Trackmania Cup 2033, en tous cas sous la même forme : https://www.millenium.org/news/391228.html
7 : En 2021, les 50 heures de marathon caritatif ont permis de récolter 10 millions d’euros à destination d’Action contre la Faim grâce à plus de 50 streamers.
8 : Évènement mondial sur Reddit autour, pour la partie française, de streamers comme Kameto, Squeezie et Domingo
9 : https://www.redbull.com/fr-fr/scarlett-iem-pyeongchang-starcraft-ii-esport
10 : https://olympics.com/fr/infos-liees/olympic-virtual-series-everything-you-need-to-know
11 : https://www.millenium.org/news/380845.html
12 : https://e.sport.fr/news/lesport-sinvite-aux-jo-2028-de-los-angeles-692855.shtm
14 : https://www.economie.gouv.fr/strategie-e-sport
15 : https://gameandrules.com/denis-masseglia-esport-jeuvideo/