Cyberharcèlement : quels outils contre ce fléau ?
Les cas de cyberharcèlement ne manquent pas. Que ce soit en France ou à l’étranger, bon nombre de personnes en ont été victimes, comme Ultia récemment, lors du Z Event et de « l’affaire Inoxtag ».
Les cas de cyberharcèlement ne manquent pas. Que ce soit en France ou à l’étranger, bon nombre de personnes en ont été victimes, comme Ultia récemment, lors du Z Event et de « l’affaire Inoxtag ». Aujourd’hui, Game and Rules et la rédac’ aAa en abordent le cadre juridique.
GAME AND RULES et aAa Gaming collaborent à compter d’aujourd’hui pour vous proposer chaque mois des articles abordant des sujets juridiques concernant l’Esport.
Fondé en 2000, aAa Gaming est un club esport qui a marqué toute une génération de joueurs en remportant d’innombrables titres de champions. En 2004 la structure poursuit son développement avec un site internet proposant depuis un suivi complet de l’actualité esportive. Acteur historique du secteur, Team aAa est ainsi devenu au fil des années un média référence et un expert reconnu du milieu.
Cyberharcèlement : fléau 2.0
Le cyberharcèlement, aussi appelé « cyberintimidation », « cyberbullying » ou « cyberstalking », est un véritable fléau 2.0 qui n’épargne pas l’univers du gaming. Il peut toucher tout le monde, y compris les acteurs des jeux vidéo et de l’esport.
On se rappellera par exemple, du « Gamergate », un mouvement de joueurs de jeux vidéo qui est né en 2014 aux États-Unis après une série de cas de harcèlements sexistes contre des femmes de l’industrie vidéoludique. La développeuse de jeux indépendante, Zoe Quinn, en fut la première victime1.
Des gameuses témoignent souvent du harcèlement qu’elles subissent ou ont subi, à l’instar d’Ultia récemment ou de Marie-Laure Norindr, alias Kayane, joueuse ayant remporté de nombreux titres dans l’univers des jeux de combat2 et animatrice, notamment sur la chaîne Game One. Des compétiteurs professionnels de League of Legends, membres d’équipes de la LCK, ont dû également affronter des critiques malveillantes (insultes, menaces…) de la part de leur communauté3.
L’autorégulation des discours haineux en ligne par un certain nombre de plateformes n’est pas suffisante pour enrayer ce phénomène de grande ampleur. De façon générale, 62% des Français déclarent avoir subi des incivilités en ligne selon le Safer Internet Day 20204. Et d’après une récente enquête réalisée par l’association e-Enfance, 20% des jeunes affirment avoir déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement5. Nombre d’affaires judiciaires ont d’ailleurs défrayé la chronique ces dernières années (« Ligue du LOL »6, Nadia Daam7, Mila8…).
Cependant, sachez que les cyberviolences (incivilités numériques) peuvent se combattre avec l’arsenal juridique déjà en vigueur et que l’impunité des auteurs est loin d’être assurée. Un tour d’horizon juridique s’impose donc car « nul n’est censé ignorer la loi » !
I. Le cadre juridique du cyberharcèlement
A- Définition du cyberharcèlement
Le « cyberharcèlement » (littéralement harcèlement en ligne) n’est pas un terme juridique à proprement parler. Il s’agit plutôt d’une expression employée dans le langage courant pour désigner du harcèlement virtuel. Il est acquis depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, que la liberté d’expression ne doit pas nuire à autrui. C’est pourquoi, après avoir sanctionné le harcèlement en présence (offline), le législateur s’est emparé de la question des violences numériques.
Il a cependant fallu attendre la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes pour que soient introduites dans le Code pénal des dispositions réprimant comme délit le harcèlement « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ».
Depuis la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa »9, le harcèlement moral ou sexuel est devenu un délit aggravé notamment lorsqu’il est « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne » ou au moyen d’un « support numérique ou électronique ». Le cyberharcèlement peut donc être sanctionné non seulement lorsqu’il s’exprime de façon publique mais aussi sur des canaux ou supports privés (réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Twitch, YouTube ; messageries ; téléphones ; forums ; chats, jeux vidéo en ligne ; SMS ; blogs ; vidéos…).
Pensez au proverbe latin : « Verba volant, scripta manent » (« les paroles s’envolent, les écrits restent »). Car celui-ci est toujours et partout d’actualité, y compris sur internet et les réseaux sociaux. En d’autres termes, toutes vos données ainsi que ce que vous écrivez ou enregistrez (quel que soit le support : papier ou numérique) peuvent être retrouvés et se retourner contre vous. L’inverse est également vrai, c’est-à-dire que vous pouvez utiliser les éléments écrits ou numériques d’une personne qui vous « cible » comme éléments de preuve à son encontre.
Potentiellement, nous pouvons tous et toutes être victimes de comportements ou propos harcelants. Mais nous pouvons également, volontairement ou par inadvertance, se retrouver dans le camp des harceleurs. La frontière est parfois subtile et il se peut, parfois, que la personne accusée d’harcèlement en subisse à son tour. Ainsi, Andréas Honnet, connu sous le pseudonyme de Sardoche, s’était plaint en 2020, de recevoir des messages haineux et insultants pendant ses parties de League of Legends et même d’avoir été la cible de « swatting »10 et de « stream sniping »11, alors qu’il lui avait été reproché par certaines personnes de s’être livré lui-même à du cyberharcèlement.
B- Les formes de cyberharcèlement
A l’instar du harcèlement dit classique, le cyberharcèlement peut être d’ordre moral ou sexuel.
Harcèlement moral : il s’agit du « fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale »12.Le cyberharcèlement moral peut se manifester de bien des façons différentes et notamment par l’envoi de propos menaçants et/ou insultants (moqueries, menaces, humiliations…) ou encore par la création d’un groupe, d’une page ou d’un faux profil à l’encontre d’une personne.
Harcèlement sexuel : il s’agit du « fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante »13.Le cyberharcèlement sexuel peut se manifester, par exemple, par la publication de photos sexuellement explicites ou humiliantes ou par du « slut shaming », pratique consistant à blâmer des filles ou des femmes en raison notamment de leur apparence, de leur tenue vestimentaire, de leur maquillage ou encore de leur orientation sexuelle.
Si l’on reprend les critères légaux, l’infraction de cyberharcèlement n’est constituée que si les faits de harcèlement :
se sont produits de façon répétée ; un acte isolé et unique de harcèlement n’est donc pas suffisant;
et ont entraîné des conséquences négatives sur la vie de la victime (« altération de la santé physique et mentale » concernant le harcèlement moral ; « atteinte à la dignité ou création d’une situation intimidante, hostile ou offensante » concernant le harcèlement sexuel).
C’est donc à la victime du cyberharcèlement de prouver que ces conditions sont réunies. A côté des propos ou comportements relevant du harcèlement, il existe des infractions autonomes et distinctes, spécifiquement sanctionnées, telles que :
Le « happy slapping » : diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos d’agressions physiques14.
Le « revenge porn » (vengeance pornographique), pratique consistant à diffuser auprès du public ou d’un tiers des photographies ou vidéos présentant un caractère sexuel, sans l’accord de la personne concernée15.
Le « doxing » : diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens16.
Le délit dit « de captation, d’enregistrement et de transmission d’images impudiques », commis à l’insu ou sans le consentement de la personne17.
II. Responsabilités et sanctions
A- Le ou les auteurs du cyberharcèlement
L’auteur principal du cyberharcèlement est le premier responsable des contenus haineux en ligne. Cependant, sont également responsables, depuis la loi Schiappa, les co-auteurs, c’est-à-dire les personnes qui relaient les propos harcelants que ce soit par des partages, des commentaires, des retweets, des likes ou par tout autre moyen. Il s’agit de ce qu’on appelle des « raids numériques » ou du « harcèlement de meute ».
Par conséquent, peut-être incriminée toute personne qui a participé, même par un acte unique, sans concertation, au cyberharcèlement en groupe d’une personne. Ainsi, les internautes, membre du groupe qui a participé à une campagne de cyberharcèlement, peuvent être pénalement poursuivis individuellement et ce, sans même avoir agi de façon répétée ou concertée.
L’auteur du cyberharcèlement, que son action ait été individuelle ou collective, risque une peine allant de deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € à 45 000 € d’amende, selon la nature morale ou sexuelle du cyberharcèlement.
La première condamnation définitive pour harcèlement de meute est intervenue récemment. En effet, par un arrêt du 28 septembre 2021, la Cour d’appel de Versailles a condamné le youtuber Habannou S., connu sous le pseudo « Marvel Fitness », à une peine de deux ans de prison, dont vingt-deux mois avec sursis pour avoir moralement harcelé d’autres influenceurs au travers de vidéos et « dramas »18. Pour mémoire, suite à plusieurs plaintes, Marvel Fitness avait été renvoyé devant la chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Versailles pour « envoi de messages haineux, outrageants ou insultants ayant entraîné une dégradation des conditions de vie et une altération de la santé physique ou mentale des victimes », « envoi de messages malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité » et « violences sur avocat ». Il s’est également vu reprocher d’avoir encouragé sa communauté à se livrer à du harcèlement.
B- Les plateformes en ligne
En France, les plateformes19 sont considérées, à l’instar des fournisseurs d’accès, comme de simples hébergeurs, tels que définis par l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Ainsi contrairement aux éditeurs qui créent et déterminent les contenus mis à la disposition du public, les hébergeurs ne sont que des prestataires et intermédiaires techniques qui se bornent à mettre à la disposition du public des équipements techniques permettant la diffusion en ligne des contenus des éditeurs.
Par conséquent, les plateformes et réseaux sociaux n’ont qu’une responsabilité civile et pénale limitée. En effet, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée que si ce dernier :
a eu expressément connaissance du « caractère manifestement illicite » des contenus délictueux,
et n’a pas agi promptement, dès qu’il en a eu connaissance, pour retirer les contenus concernés, ou n’a pas rendu leur accès impossible.
Le Conseil constitutionnel est venu préciser que la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers ne peut être engagée « si elle ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge »20.
Conformément à la loi, les plateformes ne sont pas soumises à une obligation de surveillance ou de filtrage des contenus rendus disponibles.
Par conséquent, l’hébergeur n’est présumé avoir connaissance des faits qu’à partir du moment où il reçoit notification des faits litigieux. En d’autres termes, la victime doit se manifester auprès de la plateforme concernée pour dénoncer les faits de cyberharcèlement subis en respectant un certain formalisme prévu par la loi.
Ainsi, il appartient à la personne cyberharcelée d’envoyer un écrit (ou une notification via un dispositif technique directement accessible sur la plateforme) contenant les informations suivantes :
date de la notification
éléments d’identification personnelle du notifiant (nom, prénom, adresse…)
description du contenu litigieux, localisation précise et, le cas échéant, adresse.s électroniques auxquelles ce contenu est rendu accessible
motifs légaux pour lesquels le contenu devrait être retiré ou rendu inaccessible
copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des contenus litigieux demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté21
A défaut de respecter cette procédure, l’hébergeur ne pourrait être tenu responsable du fait du maintien des contenus litigieux.
Cela étant, depuis mai 2016, certaines plateformes (dont Facebook, Twitter, Instagram, YouTube et Webedia via son site jeuxvideo.com) se sont engagées, dans le cadre d’un Code de bonne conduite, à examiner les demandes de suppression de contenus de haine en ligne en moins de 24 heures22.
Par ailleurs, si vos données personnelles (nom, prénom, adresse…) sont publiquement diffusées par le cyberharceleur, vous pouvez en demander la suppression auprès du site ou réseau social concerné. L’effacement des informations doit intervenir dans les meilleurs délais et au plus tard, dans le délai d’un mois (voire de 3 mois maximum en cas de demande complexe). A défaut, vous pouvez porter plainte auprès de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés)23. En outre, si vos informations apparaissent dans les résultats du moteur de recherche, vous pouvez effectuer une demande de déréférencement24 et en cas de refus ou d’absence de réponse, saisir la CNIL.
III. Moyens juridiques de lutte contre le cyberharcèlement
Si l’on veut être efficace, lutter contre le cyberharcèlement ne s’improvise pas. La vigilance et le combat s’opèrent dès la première manifestation des faits de cyberviolences.
Il faut être organisé et procéder par étapes. La collecte et la sauvegarde des preuves doivent constituer le premier réflexe car le ou les auteurs du cyberharcèlement pourraient supprimer les traces de leurs propos ou agissements. Il s’agit donc d’un préalable indispensable à toute action juridique que la victime pourrait entreprendre.
A- Collecte et conservation des preuves
S’agissant de faits de harcèlement numérique, la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tout moyen, sous réserve naturellement qu’elle n’ait pas été falsifiée.
Pour avoir force probante, la preuve doit être authentique et fiable. L’objectif étant d’établir l’existence des propos et agissements concernés mais aussi d’identifier leur auteur, lorsque cela est possible.
Idéalement, la victime se rapprochera d’un Huissier de justice pour faire dresser un procès-verbal de constat. L’Huissier ne pourra procéder qu’à des constatations matérielles, sans pouvoir donner son avis sur les conséquences pouvant en résulter. Ses constatations font foi jusqu’à preuve contraire, sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements25.
A défaut, il conviendra de procéder, par exemple, à des enregistrements vidéo ou sonores, des copies des liens, des captures d’écran horodatées (« screenshot ») de l’ensemble des messages et preuves constitutifs du cyberharcèlement. La victime devra veiller à s’assurer de l’authenticité et de la fiabilité technique des éléments de preuves pour ne pas risquer un rejet par le juge.
Les preuves rassemblées serviront à justifier notamment de l’identité de l’agresseur, de la date et de la nature de l’infraction, du nombre de messages et des éventuels co-auteurs.
Par ailleurs, il est conseillé de bloquer immédiatement l’accès à votre ou vos comptes sociaux ou de bannir les personnes indésirables. Il est également important de ne jamais répondre aux cyberharceleurs afin de ne pas alimenter la « shitstorm » et surtout d’éviter que vos réponses ne puissent se retourner contre vous.
B- Actions juridiques
Une fois les preuves collectées et sauvegardées, la victime pourra mettre en œuvre une action civile et/ou pénale à l’encontre des personnes physiques ou morales responsables directement ou indirectement des faits de cyberharcèlement.
1. Signalement
Dans un premier temps, il est judicieux de procéder immédiatement à un signalement.
Ce signalement peut s’effectuer auprès de la plateforme en ligne sur laquelle les propos ou agissements dénoncés sont diffusés. Il conviendra de suivre au préalable la procédure propre à la plateforme qui figure généralement dans ses conditions générales d’utilisation (dite « charte d’utilisation »).
Dès réception de cette notification, la plateforme analysera si les contenus en cause constituent une violation de sa charte d’utilisation et/ou de la loi. Si tel est le cas, elle devra retirer rapidement les contenus illicites ou rendre leur accès impossible, sous peine de voir sa responsabilité potentiellement engagée. Une copie de ce signalement devra être conservée.
Il est également possible de procéder à un signalement auprès de la police et de la gendarmerie notamment via PHAROS (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalement), portail du Ministère de l’Intérieur26. PHAROS a, avant tout, une mission d’alerte auprès des autorités compétentes.
Selon l’appréciation et la nature de la gravité des faits, une enquête pourra être ouverte sous l’autorité du procureur de la République. Si le ou les auteurs du cyberharcèlement agissent sous pseudonymat (anonymat), PHAROS aura la capacité de requérir auprès des opérateurs techniques, dont les fournisseurs d’accès, les données (adresses IP, mails, identité…) permettant d’identifier le titulaire de la ligne d’où émane le message ou propos incriminé.
2. Action civile et/ou pénale
La victime a naturellement toujours la possibilité d’agir devant les autorités judiciaires. Étant précisé que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des atteintes aux droits sur internet dès lors que les contenus litigieux sont accessibles en France.
Le cyberharcèlement étant un délit, la victime pourra porter plainte, soit contre personne dénommée, soit contre X si l’auteur est sous pseudonymat. Il faut cependant tenir compte du délai de prescription pour la poursuite pénale des délits, qui est de 6 ans à compter du jour où l’infraction a été commise.
Le dépôt de plainte peut être effectué de plusieurs manières :
en ligne sous forme de pré-plainte27
par un courrier adressé au Procureur de la République du Tribunal judiciaire compétent
ou en se rendant directement dans un commissariat de police ou une gendarmerie
Il faut savoir que les agents de police ou les gendarmes ont l’obligation d’enregistrer la plainte et ce, sans émettre d’observations sur la qualification pénale des faits. La plainte sera alors transmise au Procureur de la République qui appréciera l’opportunité des poursuites et décidera donc seul soit d’y donner suite, soit de classer la plainte sans suite28.
Lorsque la plainte est classée sans suite ou qu’aucune suite n’est concrètement apportée depuis trois mois, la victime du cyberharcèlement a la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile29.
Cette plainte, qui doit être déposée devant le juge d’instruction du tribunal compétent, permettra d’ouvrir une information judiciaire, c’est-à-dire une enquête.
Par contre, si l’identité de l’auteur du cyberharcèlement est connue et que la preuve est apportée, la personne cyberharcelée pourra saisir directement le tribunal correctionnel par voie de citation directe. En d’autres termes, l’auteur des faits sera convoqué à une audience judiciaire par un acte d’huissier. Ce sera à la victime de choisir le moyen d’action souhaité, au besoin avec l’aide d’un Avocat
3. Renforcement des moyens de lutte
Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (dit « parquet numérique »), pôle spécialisé rattaché au parquet de Paris30, a été créé en 2021 en vertu de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.
Cette juridiction est compétente au niveau national pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits de harcèlement sexuel ou moral aggravé par le caractère discriminatoire, dès lors que les faits sont commis sur internet et que la plainte a été adressée par voie électronique.
Selon une circulaire du 24 novembre 202031, les critères de saisine du parquet de Paris sont :
la complexité de la procédure (résultant de la technicité de l’enquête, de vérifications internationales, de la multiplicité d’auteurs notamment lorsqu’ils sont localisés en de multiples points du territoire)
le fort trouble à l’ordre public engendré par les faits (notamment en cas de retentissement médiatique important ou de sensibilité particulière de l’affaire)
En revanche, ledit parquet n’a pas vocation à connaître de ces infractions lorsque, bien que publiques et commises par voie numérique, elles interviennent dans un cadre interpersonnel, notamment familial ou professionnel. Il en est de même lorsque ces infractions sont commises par des mineurs.
La circulaire indique également que le parquet de Paris est désormais l’interlocuteur judiciaire exclusif de la plateforme PHAROS pour tous les aspects ayant trait aux signalements reçus sur la haine en ligne. En outre, le parquet numérique collabore avec les représentants des réseaux sociaux, dans l’objectif d’apporter une réponse judiciaire plus efficace.
L’Affaire Mila (jeune fille qui avait reçu des milliers de messages de haine et de menaces après une vidéo polémique sur l’Islam) est le premier dossier à avoir été coordonné par le Pôle national de lutte contre la haine en ligne.
Par ailleurs, la France est associée à la volonté de l’Europe de « bâtir un monde digital régulé » dans l’objectif de « garantir aux citoyens européens leur sécurité en ligne et les protéger contre tout abus »32. Ainsi, le projet de règlement européen de « Législation sur les services numériques » ou « Digital Services Act » (DSA) publié le 15 décembre 2020 vise à contraindre les plateformes numériques à modérer ou supprimer les contenus illicites qui y sont publiés et à en assumer la responsabilité.
La France devrait mettre ce texte au cœur de ses priorités dans le cadre de la présidence de l’Union européenne qu’elle occupera à partir de janvier 2022.
références
1 : article de Wikipédia « Controverse du Gamergate »
2 : article de l’OBS avec Rue89 « Sexisme : les gameuses, harcelées ou moquées »
3 : article du MGG « LoL : les équipes de LCK réagissent face au cyber-harcèlement »
4 : article de Microsoft news « Safer Internet Day 2020 : les attaques sur le physique émergent cette années en tête des incivilités numériques »
5 : article du groupe BPCE « Cyber-harcèlement : La Caisse d’Epargne s’associe à l’Association e-Enfance »
6 : article de Wikipédia « Affaire Ligue du LOL »
7 : En 2020, la cour d’appel de Paris a condamné un homme à six mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour avoir menacé de viol la journaliste sur le forum « Blabla 18-25 ans ».
8 : article de france bleu « Affaire Mila : cinq nouveaux auteurs de menaces de mort interpellés »
9 : LOI n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (1)
10 : Appel téléphonique malveillant qui consiste à essayer de piéger des services de police, tout en restant anonyme, en leur faisant croire à la nécessité d’une intervention d’urgence, en général au domicile d’un particulier, pour lui nuire. Il était à l’origine utilisé dans le milieu du gaming avant de se répandre dans d’autres milieux.
11 : Pratique qui consiste à utiliser le flux en direct d’une personne contre elle.
12 : Code pénal, article 222-33-2-2
13 : Code pénal, article 222-33
14 : Code pénal, article 222-33-3
15 : Code pénal, article 226-2-1
16 : Code pénal, article 223-1-1 ; infraction introduite par la loi du 24 août 2021confortant le respect des principes de la République, adoptée suite à l’assassinat de Samuel Paty.
17 : Code pénal, article 226-3-1
18 : article de numerama « Le youtubeur Marvel Fitness a été condamné en appel pour harcèlement »
19 : En vertu de l’article L111-7 du Code de la consommation, « Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur : 1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
20 : Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004
21 : Cette condition n’est pas exigée pour la notification de certaines infractions (notamment incitation aux violences sexuelles et sexistes et incitation à la haine raciale ou à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap)
22 : article de la Commission Européenne « Le code de conduite de l’UE visant à combattre les discours de haine illégaux en ligne continue de produire des résultats »
23 : article de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) « Adresser une plainte à la CNIL »
24 : concernant Google : formulaire de demande de déréférencement
25 : Ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, article 1.
26 : formulaire de signalement du Ministère de l’Intérieur
27 : formulaire de pré-plainte en ligne du Ministère de l’Intérieur
28 : Code de procédure pénale, article 40-1
29 : Code de procédure pénale, article 85
30 : Code de procédure pénale, article 15-3-3
31 : Circulaire du Ministère de la Justice relative à la lutte contre la haine en ligne du 24 novembre 2020
32 : Communiqué – Réaction de Bruno Le Maire, Clément Beaune et Cédric O sur le Digital Services Act et le Digital Markets Act – 15/12/2020