GAFAM dans l’esport et le gaming : quels enjeux juridiques ?
Les géants du numériques, dont les GAFAM américains et leurs équivalents chinois BATX, investissent en masse dans le secteur des jeux vidéo. Et pour cause, cette industrie juteuse a atteint, en 2020, un chiffre d’affaires mondial de près de 180 milliards de dollars.
Cet investissement s’est intensifié ces dernières années, au point de poser un certain nombre de problématiques et enjeux juridiques de taille.
Les Big Tech1 et BATX2 qui pèsent respectivement 4200 et 950 milliards de dollars, ont orienté leurs stratégies d’investissement vers le marché du jeu vidéo.
Étant observé que ce marché a un poids économique plus important que celui de la musique et du cinéma réunis.
Ainsi, en 2022, Microsoft a offert de racheter pour 69 milliards de dollars, le groupe Activision Blizzard, l’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo au monde avec des licences populaires comme Call of Duty, Overwatch ou World of Warcraft3. Pour mémoire, l’année précédente, Microsoft avait fait l’acquisition de l’éditeur de jeux ZeniMax Media / Bethesda (Fallout, Doom ou Quake) pour 7,5 milliards de dollars4.
De son côté, Tencent, déjà actionnaire de Riot Games (League of Legends), Supercell (Clash Royale) ou encore d’Epic Games (Fortnite), a ajouté dans son escarcelle le studio britannique Sumo Digital et le groupe polonais 1C Entertainement.
Face à cette offensive, certains acteurs de l’industrie du jeu vidéo se lancent dans de grandes fusions-acquisitions. Ainsi, l’américain Electronic Arts a acquis Glu Mobile et Playdemic, spécialisés dans le jeu mobile, mais aussi Metalhead (jeux de baseball) et Codemasters (jeux de course automobile). Pour sa part, Take two Interactive, propriétaire de franchises telles que Grand Theft Auto ou NBA 2K, a mis la main sur Zynga, éditeur/développeur de jeux sociaux comme FarmVille ou Harry Potter. On note également l’acquisition de Bungie (créateur de Halo et Destiny) par Sony5.
Pour consolider leur position, les grands acteurs du jeu vidéo utilisent des stratégies d’intégration horizontale et verticale, en fusionnant avec des concurrents directs ou via des acquisitions croisées, par exemple entre développeurs de jeux et distributeurs/fabricants de consoles.
Nous verrons que la concentration des Big Tech pose des problématiques en termes de droit de la concurrence (I), de données personnelles (II) et a un impact sur les compétitions de jeux vidéo (III).
I. Des pratiques anticoncurrentielles
L’arrivée en force des géants du numérique dans le secteur du jeu vidéo pose d’abord des problèmes de nature concurrentielle.
L’Union européenne, avec sa Direction générale de la Concurrence (DG COMP) chargée du respect des règles anti-trust (ententes, abus de position dominante, monopoles, concentrations..), a infligé une série d’amendes record aux GAFAM6.
De leur côté, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la Chine7 veillent également à l’application de leur législation anti-trust pour réguler les positions monopolistiques.
Ainsi, la Fédéral Trade Commission (FTC) est en train d’examiner l’offre de rachat de l’éditeur de jeux Activision Blizzard par Microsoft, fabricant de la console Xbox.
L’autorité américaine souhaite s’assurer que l’acquisition projetée ne nuit pas à la concurrence en limitant l’accès aux principaux titres de jeux8. Etant rappelé que l’accord de rachat de la société britannique ARM par NVIDIA, jugé anticoncurrentiel, avait été annulé9.
Concernant ses abonnements gaming (Game Pass et Xbox Live Gold), Microsoft s’est engagé à modifier différents critères pour se conformer aux exigences de la Competition and Markets Authority (CMA), l’autorité britannique de la concurrence10.
Par ailleurs, des contentieux ont porté sur le modèle de distribution de jeux vidéo. Ainsi, l’éditeur de jeux Epic Games a déposé plusieurs plaintes y compris devant la Commission européenne pour abus de position dominante à l’encontre d’Apple aux motifs d’avoir « complètement évincé la concurrence dans les processus de distribution et de paiement des applications »11.
Pour les mêmes motifs, le studio indépendant Wolfire Games (créateur de la vitrine numérique Humble Indie Bundle) a poursuivi Valve, éditeur de la plateforme Steam, pour violation des règles antitrust12.
Notons également qu’une plainte collective de consommateurs a été déposée devant un Tribunal fédéral californien à l’encontre de Sony, sur le fondement d’un monopole illégal empêchant les utilisateurs de PlayStation d’acheter des jeux via des codes de téléchargement tiers et entraînant une augmentation des prix13.
II. Une utilisation commerciale des données personnelles
Rappelons que les GAFAM sont souvent accusées d’enfreindre les règles de protection des données personnelles. Ainsi, la CNIL a infligé des amendes à Google14 et Amazon15 (150 et 35 millions d’euros) pour non-respect des règles sur les cookies.
Les jeux vidéos sont extrêmement « datavores » et les profils des joueurs sont associés aux actions en jeu (obstacles contournés, niveaux), scores, classements, trophées, amis, parties, bibliothèque de jeux, et leurs succès naturellement.
Elles s’ajoutent à des données de base telles que identifiant, nom, prénom, adresse, courriel, pays, numéro de téléphone, langue, date de naissance, photo de profil, mot de passe, question de sécurité, intérêts… sans oublier les données de paiement et toutes celles associées à des processus : achat, assistance technique, clientèle et commerciaux (sondages, tests bêta, études de marché).
Cependant, d’autres informations sont également collectées sans que le joueur en ait conscience :
- date et heure d’utilisation,
- jeux ou musique lancés,
- contenu visionné,
- services utilisés et durée de leur utilisation,
- fréquence d’usage des applications de chat et de communication.
De plus, en cas de crash, sont collectées les captures d’écran ou la vidéo capturée au moment du crash.
Sachant que la console permet d’utiliser Netflix, Spotify ou de diffuser les parties sur Twitch et bien d’autres services ; toutes les données liées à ces usages sont aussi collectées.
On comprend mieux l’intérêt de Microsoft à s’engager sur ce secteur pour booster ses profits : elle en tirait 11.5 millions USD en 2019, alors que le chinois Tencent atteint le record de 29 milliards USD en 2021.
Ceci n’est qu’un début. Le développement du métavers, monde immersif où tout est basé sur le sensoriel, sera le lieu de la collecte de données encore inexploitées : celles générées par le corps du joueur. Les équipements qu’il revêtira seront autant de moyens de numériser l’être humain à travers ses interactions lors d’un divertissement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Meta a déposé quantité de brevets sur ces technologies16.
Or, en France, les gamers de moins de 15 ans doivent fournir un double consentement pour le traitement de leurs données : leur autorisation personnelle ainsi que celle de leurs parents. On conseillera donc de vérifier les paramètres de toutes les interfaces de navigation : téléphone, tablette, ordinateur, TV.
III. Un marché de l’Esport impacté
L’organisation de compétitions de jeux vidéo et leur retransmission nécessitent l’autorisation de l’éditeur du jeu concerné puisque ce dernier est titulaire de l’intégralité des droits de propriété intellectuelle.
Bien souvent, l’éditeur se retrouve également organisateur, parfois avec un système de ligues ouvertes ou fermées17. Dans ce cadre, il édicte et impose ses propres règles compétitives, comme c’est le cas de Riot Games avec ses ligues officielles sur les jeux League of Legends et Valorant.
Les GAFAM se positionnent également sur le secteur compétitif grâce notamment à la technologie du cloud gaming18. On pense notamment à Amazon Luna19 ou à Facebook Gaming qui permet de streamer mais aussi d’organiser des tournois même d’envergure internationale.
De son côté, Microsoft a racheté la plateforme Smash.gg spécialisée dans l’organisation de tournois et évènements de jeux compétitifs20. La firme de Mountain View a même lancé la Financial Modeling World Cup (FMWC), une compétition sur son logiciel Excel avec un cashprize de 10.000 dollars21.
On observe donc une vraie mainmise des GAFAM sur le secteur Esport qui peut entraver le développement des éditeurs de jeux vidéo.
En 2020, Epic Games est allé jusqu’à utiliser un tournoi sur son jeu Fortnite, intitulé la coupe #FreeFortnite, pour protester contre le système d’achat in-app d’Apple lui imposant le paiement d’une commission de 30%22.
Concernant les organisateurs tiers de tournois Esport, ils auront à composer avec la supériorité technologique des GAFAM notamment en matière de serveurs et de connexion très haut débit.
Cependant, il arrive que des alliances improbables naissent entre GAFAM et éditeurs et développeurs de jeux. Ainsi, face à la pénurie de semi-conducteurs, Microsoft a dû faire appel à Nintendo pour obtenir suffisamment de consoles Xbox Series X pour son premier tournoi Halo Championship Series sur le jeu Halo Infinite23.
CONCLUSION
L’intérêt des GAFAM pour l’industrie des jeux vidéo a débuté dans les années 2000 avec la tentative avortée de Microsoft de racheter plusieurs éditeurs de jeux tels que Nintendo, Electronic Arts ou Square Enix24.
Même si depuis lors, les GAFAM ont opéré une vraie mainmise sur le secteur, leurs ambitions se soldent parfois par des échecs commerciaux comme celui notable de la plateforme Google Stadia, service de jeux vidéo par abonnement25.
Le monopole numérique général de la Big Tech est régulièrement dénoncé par les autorités américaines et européennes au point qu’elles hésitent entre régulation (notamment avec le Digital Markets Act) et démantèlement (Break up bill)26.
De son côté, l’État chinois a durci sa réglementation avec en ligne de mire les jeux vidéo, notamment le jeu Honor of Kings de Tencent, qualifiés d’opium mental27. La Chine a ainsi limité les temps de jeu pour les mineurs28 et a bloqué la fusion de deux grandes plateformes de streaming de jeux vidéo au profit de Tencent pour éviter une concentration illégale d’opérateurs commerciaux29.
Contraintes de procéder à un dégraissage de leurs effectifs, les entreprises chinoises pourraient cependant investir ou accroître leurs investissements à l’étranger, notamment en Europe30.
références
2 : BATX est l’acronyme des 4 plus grandes entreprises technologiques chinoises : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami.
3 : article de Wikipédia “Activision Blizzard”
4 : article de 01net “Rachat de Bethesda par Microsoft : les prochains jeux du studio seront en exclu sur Xbox et PC”
5 : article du journal Le Monde “Sony rachète les studios Bungie, créateurs de « Halo » et de « Destiny »”
6 : article du journal Les Echos “Les 5 plus grosses amendes infligées par l’UE aux Gafam”
7 : article de La Lettre du Numérique “La loi antitrust en Chine – le projet de modification en vue d’une régulation renforcée des BATX”
8 : article de Hardwarecooking “Rachat d’Activision Blizzard par Microsoft : la FTC va enquêter sur le rachat”
9 : article de numerama “Nvidia ne rachètera finalement pas ARM”
10 : article de SiecleDigital “Après l’annonce du rachat d’Activision, Microsoft se plie aux exigences des régulateurs”
11 : article de Cnet “Epic Games dépose une plainte antitrust contre Apple en Europe”
12 : article de jeuxvideo.com “Le créateur de Humble Bundle poursuit Valve en justice”
13 : article de Sird “Sony poursuivi en justice pour le « monopole » de la boutique numérique de PlayStation”
14 : article de la CNIL “Cookies : la CNIL sanctionne GOOGLE à hauteur de 150 millions d’euros”
15 : article de la CNIL “Cookies : sanction de 35 millions d’euros à l’encontre d’AMAZON EUROPE CORE”
16 : article du journal Ouest France “Comment le métavers de Facebook va faire de l’argent avec vos émotions”
17 : article de Level 256 “L’avenir des compétitions esport : de la structuration des ligues à un système franchisé”
18 : article de jeuxvideo.com “Pourquoi les GAFAM se lancent dans le Cloud Gaming ?”
19 : article de Level 256 “Le cloud gaming : quels enjeux et quel rapport avec l’esport ?”
20 : article de MGG “Microsoft rachète la plateforme de tournoi Smash.gg”
21 : article de Konbini techno “On vous présente le nouveau champion du monde d’Excel”
22 : article de Frandroid “Fortnite : Epic organise un tournoi anti-Apple pour gagner un skin exclusif”
23 : article de IGN “Faute de processeurs, Microsoft utilise des kit de devs Xbox Series X pour son tournoi Halo Infinite”
24 : article du Journal du Geek “Microsoft a essayé d’acheter Nintendo il y a 20 ans mais…”
25 : article de Presse Citron “C’est bientôt la fin pour Google Stadia ?”
26 : article de Vie Publique “Les GAFAM : vers une régulation ou un démantèlement ?”
27 : article de Sud Ouest “Jeux vidéo : en Chine, Tencent étend ses restrictions pour les mineurs”
28 : article de France 24 “Chine : les géants du jeu vidéo dans le viseur du pouvoir”
29 : article du journal Les Echos “Tencent doit renoncer à ses droits musicaux exclusifs”
30 : article de XboxSquad “Répression des jeux vidéo en Chine : Baidu licencie une centaine de salariés”










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.


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Streaming et droit : mode d’emploi
Le streaming ou “live streaming”, terme anglais, est défini par Wikipédia comme “l’envoi de contenu en “direct” (ou en léger différé) d’un flux audio et/ou vidéo”1. Il s’agit donc de production de contenus en temps réel suscitant les interactions d’utilisateurs.
Le streaming de jeux vidéo a fait son apparition sur des plateformes telles que YouTube ou Dailymotion avant la création en 2011 de Twitch Interactive (plateforme rachetée par Amazon en 2014) et proposant notamment la diffusion en direct de parties de jeux et de tournois Esport.
Le streaming est une activité relativement simple et à la portée de tous. En effet, toute personne munie d’un ordinateur gaming, d’une webcam, d’un micro et d’une bonne connexion peut potentiellement streamer sa partie de jeu vidéo et fédérer une communauté. Rien que sur Twitch, on compte près de 10 millions de streamers et plus de 3 millions de spectateurs (viewers)2. Le streamer français Lucas Huchard, dit “Squeezie” totalise à lui seul plus de 3 millions de followers3.
Devant la popularité croissante de cette pratique et ses enjeux financiers, nombre de gamers ont décidé d’en faire leur activité professionnelle, à titre principal ou complémentaire.
Cependant, comme toute activité économique, le streaming s’inscrit dans un cadre réglementaire et contractuel.
I. Des relations contractuelles encadrées
Les sites de streaming de jeux vidéo qui sont souvent localisés à l’étranger (Twitch, Facebook Gaming, YouTube Gaming, Smashcast, Bigo Live…), fixent des conditions et obligations contractuelles à leurs utilisateurs, qu’ils soient consommateurs ou professionnels.
A - Les règles générales d’utilisation
Pour pouvoir créer un compte et accéder aux services de streaming, l’ensemble des utilisateurs (users) doit préalablement et expressément accepter les conditions générales d’utilisation (CGU), dites également conditions de service (terms of service). Ces CGU sont souvent complétées par des Codes, Règlements, Chartes et autres écrits visant à encadrer les propos et comportements des utilisateurs.
Sachant qu’une fois le consentement des users recueilli, les règles de la plateforme leur deviennent obligatoirement applicables, quels que soient la nationalité ou le pays de connexion.
Si quelques différences existent, on retrouve bien souvent un corpus de règles communes édictées par les plateformes de streaming.
1 - Un âge minimum requis
Les streamers doivent généralement être âgés d’au moins 13 ou 15 ans pour pouvoir créer leur chaîne et se mettre en scène dans des sessions de streaming. Cependant, les parents et autres représentants légaux restent responsables des activités de streaming de leurs enfants mineurs de moins de 18 ans.
Ainsi, “Les services Twitch ne sont pas accessibles aux personnes de moins de 13 ans. Si vous avez entre 13 ans et l’âge de la majorité légale dans votre pays de résidence, vous ne pouvez utiliser les Services Twitch que sous la supervision d’un parent ou d’un tuteur légal qui accepte d’être lié par les présentes Conditions d’utilisation.” 4
De son côté, Youtube élève la limite d’âge à 15 ans et renvoie les mineurs de moins de 15 ans sur YouTube Kids. La plateforme précise : “Si vous avez moins de 18 ans, vous devez obtenir le consentement exprès de votre parent ou tuteur légal pour utiliser ce Service.Veuillez lire ce Contrat avec eux” 5.
L’objectif recherché est de protéger les mineurs de personnes aux intentions malveillantes mais aussi de propos et contenus choquants, violents ou toxiques.
Dans cette même perspective, la Chine a interdit le streaming de jeux vidéo par des mineurs de moins de 16 ans et incité les plateformes (telles Kuaishou, Tencent QQ, Taobao, Sina Weibo) à supprimer les contenus notamment “vulgaires” ou de “pornographie soft” à visée aguichante6.
2 - Des contenus sous surveillance
Les plateformes de streaming sont des espaces de liberté pour les créateurs de contenus. La liberté d’expression, à savoir le droit d’exprimer librement ses opinions, est un droit démocratique fondamental consacré par la Constitution.
- incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination
- constitutifs d’injures, de harcèlement ou de pornographie
- faisant l’apologie de crimes contre l’humanité ou d’actes de terrorisme
- portant atteinte au droit à l’image et à la vie privée
- constituant des spams, logiciels malveillants ou pratiques trompeuses et escroqueries7
- contraires au droit de propriété intellectuelle de tiers (éléments protégés par le droit d’auteur ou le droit des marques…)
Sur ce dernier point, les streamers gaming doivent se soucier en particulier de solliciter l’autorisation de l’éditeur du jeu vidéo streamé avant sa diffusion, même si l’on observe une certaine tolérance de la part de nombreux éditeurs en raison notamment de la promotion gratuite assurée par ce biais.
Les musiques sont également protégées par les droits d’auteurs et nécessitent l’autorisation de leurs éditeurs. Pour éviter cette contrainte et les sanctions attachées, Riot Games a produit en 2021 une playlist de 37 titres libres de droits (royalty free) accessibles aux streamers de Twitch8. De leur côté, Twitch et la SACEM ont signé un accord permettant de rémunérer les auteurs, compositeurs et éditeurs membres de la SACEM lorsque leur musique est partagée ou diffusée en livestream sur Twitch9.
Par ailleurs, Twitch réfléchit à un “score de sécurité publicitaire” permettant de déterminer le type de publicité pouvant être affiché sur un stream en fonction d’un certain nombre de critères (âge du streamer, historique des bannissements, classement PEGI du jeu….)10.
Il existe déjà des systèmes automatisés de détection des contenus prohibés, via des algorithmes. Les contenus litigieux peuvent être supprimés en tout ou partie et l’accès aux services suspendu ou bloqué (bannissement), sous réserve naturellement de poursuites éventuelles à l’encontre de leur auteur.
B - Les relations commerciales
Les streamers qui souhaitent rentabiliser leur activité sont soumis aux conditions contractuelles des plateformes, celles-ci se trouvant en position de force, mais également de leurs partenaires commerciaux.
1 - Un socle contractuel imposé
Pour pouvoir accéder aux fonctionnalités nécessaires permettant une monétisation de son audience, le streamer doit en principe demander son affiliation ou un partenariat avec la plateforme de streaming.
L’éligibilité au statut d’affilié ou de partenaire est soumise à un certain nombre de critères, dont notamment le nombre d’abonnés et de spectateurs, la durée de diffusion des stream…
Par exemple, pour être affilié sur Twitch, il faut réunir a minima les critères suivants :
- 50 followers
- 500 minutes de diffusion de contenus au cours des 30 derniers jours
- 7 jours différents de diffusion au cours des 30 derniers jours
- une moyenne d’au moins 3 spectateurs au cours des 30 derniers jours
L’affiliation est la première étape avant de pouvoir accéder au rang de partenaire, sous réserve de remplir les conditions minimum suivantes :
- 25 heures de diffusion de contenus au cours des 30 derniers jours
- 12 jours différents de diffusion au cours des 30 derniers jours
- une moyenne d’au moins 75 spectateurs au cours des 30 derniers jours
De façon générale, les contrats passés entre les streamers et les plateformes sont des contrats d’adhésion, à savoir des contrats comportant un ensemble de clauses non négociables déterminées à l’avance11.
Cela étant, les contrats de partenariat qui concernent des streamers plus aguerris et “bankable” peuvent laisser place à une certaine marge de négociation et prendre la forme de contrats de gré à gré.
2 - Des contrats tiers
Les streamers peuvent passer des accords commerciaux avec des tiers, notamment les annonceurs et les marques, pour augmenter leurs revenus.
Il leur est ainsi possible d’utiliser des liens d’affiliation (liens URL pointant vers des sites marchands partenaires) mais aussi des parrainages de marque (contenus sponsorisés/placements de produits).
Ces méthodes de monétisation sont d’ailleurs encouragées par les plateformes qui y trouvent un intérêt pécuniaire. Ainsi, Twitch indique sur son site :
“Que ce soit en collaborant avec des développeurs pour diffuser des jeux nouveaux ou bientôt disponibles ou en faisant la promotion de matériel et de périphériques de jeux, il existe une infinité d’opportunités et de marques qui correspondent parfaitement à votre contenu. Le fonctionnement est simple : vous mettez un produit en avant contre rémunération”12.
Cependant, les streamers ne doivent pas enfreindre les règles fixées par les plateformes mais aussi les règles légales.
Tout comme YouTube, Twitch a interdit sur sa plateforme les liens d’affiliation et les codes de parrainage vers des sites de casinos en ligne13. En effet, est prohibée la publicité ou la promotion en faveur de sites de paris ou de jeux d’argent et de hasard, sous peine d’une amende de 100.000 euros14.
Pour mieux tracker ses streamers et influenceurs, YouTube a expérimenté une nouvelle fonctionnalité visant à détecter automatiquement les produits apparaissant dans certaines vidéo, ainsi que les liens d’affiliation associés15.
Par ailleurs, la loi impose aux influenceurs une obligation d’information, de loyauté et de transparence16. Ainsi, toute communication publicitaire et partenariat commercial doivent être mentionnés et identifiés clairement en tant que tels17 dans les vidéos et les descriptions associées, sous peine de pratique commerciale trompeuse18.
Pour avoir fait la promotion de services boursiers sur Snapchat sans mentionner qu’elle était rémunérée à ce titre, l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara a dû s’acquitter d’une amende de 20.000 euros auprès de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).19
II. Le régime juridique et fiscal du streaming
Dès lors que l’activité de streaming est poursuivie à des fins commerciales, en tout ou partie, elle doit se rattacher à un statut juridique qui déterminera son régime fiscal.
A - Un statut juridique variable
1 - Salarié versus non salarié
Il n’existe aucun statut juridique propre au streamer. Cependant, ce dernier pourrait être assimilé à l’influenceur (youtuber, blogeur, vlogeur…) défini par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité comme “un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie”20.
Selon la jurisprudence, les influenceurs sont présumés exercer une activité de mannequins21 dès lors qu’ils prêtent leur image afin de promouvoir des produits et services22. Dès lors, tout contrat conclu moyennant rémunération est présumé être un contrat de travail23 et ce, quelle que soit la dénomination donnée au contrat par les parties.
Il existe donc un risque de qualification salariée du streamer en cas d’exposition de son image, sauf à démontrer l’absence de lien de subordination24 avec la marque.
En dehors de cas particulier dans lequel le streamer apparaît comme étant le sujet principal, celui-ci sera en principe considéré comme un travailleur non salarié et devra donc créer une structure juridique. Deux formules différentes peuvent être choisies :
- l’entreprise individuelle (entreprise créée en nom propre par une personne physique)
- ou la société (personne morale).
Au début de leur activité, comme ce fut le cas pour Adrien Nougaret alias Zerator25, la plupart des streamers sont des prestataires de services indépendants agissant sous le statut fiscal d’auto-entrepeneurs26.
Etant précisé qu’il est possible de cumuler une activité salariée et une activité d’entrepreneur, sous réserve que le contrat de travail le permette et que l’activité de stream ne vienne pas concurrencer l’employeur.
2 - Le cas particulier des mineurs
La situation des streamers mineurs n’est pas prévue par la loi. En revanche, l’emploi de mineurs de 16 ans en vue de la participation à des compétitions de jeu vidéo ou pour une activité d’influenceurs/youtubers nécessite une autorisation individuelle préfectorale27, obligation qui ne concernait au départ que les enfants mannequins, du spectacle et de la publicité.
L’activité des enfants influenceurs ne relevant pas d’une relation de travail est soumise quant à elle à une déclaration, au-delà de certains seuils de durée ou de nombre de vidéos ou de revenus générés par leur diffusion28.
Par ailleurs, les plateformes sont encouragées à adopter, sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel, des chartes visant notamment à informer et sensibiliser les utilisateurs, à vérifier les contenus faisant figurer les mineurs de 16 ans et à protéger leurs données personnelles.
Enfin, il convient de rappeler que seuls les mineurs âgés de 16 ans révolus et bénéficiant de l’autorisation parentale peuvent être dirigeants de certaines entreprises limitativement énumérées :
- Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL)29,
- Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité limitée (EURL)
- ou Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU)
B - L’imposition des revenus de streaming
Les revenus du stream qui sont partagés avec la plateforme concernée proviennent de différentes sources, notamment :
- d’abonnements (appelés “subs” “subscribers” sur Twitch),
- de dons et vente de contenus numériques (sur Twitch, les “bits” permettent de célébrer des moments particuliers ou de remercier via la fonctionnalité de “cheering”, icônes animées)
- d’opérations commerciales de promotion (publicités, parrainages, placements de produits…)
1 - L’application du droit commun
Il n’existe aucun régime fiscal ni social spécifique, de sorte que c’est le droit commun qui s’applique.
Les revenus concernés doivent donc être déclarés auprès de l’administration fiscale, selon le régime d’imposition lié au statut juridique du streamer.
Habituellement, il y a imposition au barème progressif par tranches de l’impôt sur le revenu (IR) :
- soit dans la catégorie des traitements et salaires (TS) s’il existe un contrat salarié ou si la rémunération perçue peut être qualifiée de salaire,
- soit dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC)30 en cas d’activité non salariée avec la possibilité d’un abattement de 34% sur le bénéfice imposable (avec un minimum de 305 euros) en cas de régime micro entreprise
A défaut de déclaration dans les délais requis, l’activité de stream pourrait subir une majoration de droits pouvant aller jusqu’à 80 % en cas découverte d’une activité occulte31 et ce, hormis l’application d’intérêts de retard.
Pour renforcer la lutte contre la fraude, l’administration fiscale est autorisée, depuis janvier 2020, à collecter et exploiter de façon automatisée les contenus librement accessibles et rendus publics par les utilisateurs sur les plateformes en ligne32.
Les rémunérations n’échappent pas non plus au paiement des cotisations et contributions sociales (CSG, CRDS, assurance maladie, allocations familiales, retraite…) qui sont prélevées à la source pour les salariés mais déclarées et payées directement par les entrepreneurs.
2 - Le régime spécifique des enfants du spectacle
De façon générale, les revenus des mineurs doivent être déclarés par leurs représentants légaux, généralement leurs parents.
L’Etat a mis en place un mécanisme de protection des intérêts des enfants du spectacle, catégorie à laquelle appartiennent les compétiteurs de jeux vidéo et influenceurs, via un encadrement de leur rémunération et de leur temps de travail.
Ainsi, les rémunérations des mineurs de moins de 16 ans doivent être consignées au moins partiellement auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) jusqu’à leur majorité ou leur émancipation33, sous peine de sanctions pénales34. Les sommes déposées et bloquées sont rémunérées à hauteur de 0,76 % et ne sont imposables qu’au moment de leur retrait.
Ces règles pourront s’appliquer si l’on considère que les streamers sont assimilables aux enfants du spectacle.
CONCLUSION
Le streaming est devenu une activité professionnelle à part entière, à l’instar du marketing d’influence.
Certaines rémunérations atteignent des sommes considérables, comme cela ressort d’une fuite de données. Ce Twitch Leak a révélé les noms de plus de 10.000 vidéastes, dont des français tels que Squeezie, Locklear et Zerator, qui ont perçu des revenus sur Twitch entre août 2019 et octobre 2021 (hors dons, sponsoring…)35.
Zerator (Adrien Nougaret)36 arrive en 44e position du classement avec 1,4 millions de dollars correspondant au chiffre d’affaires brut de son entreprise, ZQSD Productions, dont il a indiqué qu’une partie importante était réinvestie dans certaines opérations telles que les compétitions ZLAN ou Trackmania Cup37.
Cependant, même si tous les streamers ne peuvent vivre de leur activité ou en tirer un revenu principal, il est rappelé que toute somme gagnée doit être déclarée à l’administration fiscale dès le premier euro.
Tout streamer “professionnel” avisé devra adopter un statut juridique adapté et veiller au respect de ses obligations légales et contractuelles, sous peine de voir sa responsabilité civile et/ou pénale engagée.
De façon plus globale, une mauvaise appréhension de son environnement juridique peut entraîner des risques pouvant même affecter la pérennité de son activité. Ainsi, la streameuse Pokimane (Imane Anys) a dû faire face à une “arnaque” de 24.000 dollars de la part d’un manager qu’elle avait recruté pour gérer sa chaîne YouTube38.
références
2 : article du site Les gens d’internet “Sur Twitch, le nombre d’utilisateurs a atteint un niveau record en mai 2021”
3 : twitchtracker de Squeezie
4 : conditions d’utilisation de Twitch.tv
5 : Conditions d’utilisation de youtube
6 : article de jeux online “La Chine interdit le streaming aux mineurs de moins de 16 ans”
7 : réponse à un topic youtube “Règles concernant le spam, les pratiques trompeuses et les escroqueries”
8 : article de numerama “Riot Games a sorti une playlist de musiques libres de droits pour les streameurs”
9 : article de la SACEM “Twitch signe un accord avec la SACEM : un soutien pour les créateurs dans le contexte actuel”
10 : article de clubic “Twitch : le code API révèle des plans pour attribuer un « score de sécurité publicitaire » aux streamers”
11 : Code civil, article 1110
12 : article de Twitch “Parrainages”
13 : article de Madness Bonus “Twitch bannit les liens d’affiliation casino de sa plateforme”
14 : Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne; Code de la sécurité intérieur : Article L320-1
15 : article de clubic “YouTube : l’affiliation dans le viseur de Google, au détriment des producteurs de contenu ?”
16 : l’ARPP a publié des recommandations en matière de communication publicitaire digitale
17 : loi n°2004-575 du 21/06/2004 pour la confiance dans l’économie numérique, article 20 ; directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales
18 : Code de la consommation, article L 121-3
19 : article du journal Le Monde “L’influenceuse Nabilla paie 20 000 euros d’amende pour « pratiques commerciales trompeuses » sur Snapchat” : « Le défaut d’indication du caractère publicitaire de sa publication (par un logo ou une mention orale ou écrite, par exemple) constitue une pratique commerciale trompeuse à l’encontre de ses abonnés, qui peuvent croire à tort que la promotion de l’influenceuse résulte d’une expérience personnelle positive désintéressée »
20 : article de l’ARPP “Communication d’influenceurs et marques : Nouvelles dispositions adoptées dans la Recommandation ARPP Communication publicitaire digitale”
21 : Défini par l’article du Code du travailL 7123-2 du Code du travail
22 : Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 15, 10 Février 2021 – n° 19/17548
23 : Code du travail, article L 7123-3
24 : définition du lien de subordination
25 : article du CNC (centre national du cinéma et de l’image animée) “Le streamer : plus qu’un hobby, un métier”
26 : Ce statut n’est possible que dans la limite d’un chiffre d’affaires annuel de 72600 euros pour les prestations de services.
27 : Code du travail, Article L7124-1
28 : Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
29 : Aux termes de la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), institué par une loi du 15 juin 2010, cessera progressivement, ses principaux avantages étant repris dans le nouveau statut.
30 : Code général des impôts, article 92
31 : Code général des impôts, article 1728
32 : Loi de finances pour 2020, article 154 ; Décret du 11 février 2021
33 : Code du travail, article L 7124-9
34 : Code du travail, articles L 7124-22 et suivants
35 : article du journal Sud Ouest “Twitch : piratage massif de données de la plateforme, les salaires des plus gros streamers dévoilés”
36 : Zerator totalise 1,34 millions d’abonnés et 11.141 spectateurs en moyenne sur Twitch: twitchtracker de Zerator
37 : article de numerama “Fuite massive de Twitch, gains des streameurs : tout ce que l’on sait sur l’immense leak du site de streaming”
38 : article de HITEK “Pokimane : la streameuse Twitch réagit enfin après avoir été victime de cette grosse arnaque”










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
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[INTERVIEW] Sénateur Michel SAVIN : Sa proposition de loi Esport
GAME AND RULES s’est rapproché de Michel Savin, Sénateur LR de l’Isère et Président du groupe d’études « Pratiques sportives et grands évènements sportifs » pour l’interroger sur la proposition de loi visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d’exercice du sport professionnel1, dont il est le rapporteur.
Cette proposition de loi (PPL), déposée en janvier 2021 par plusieurs parlementaires dont la députée LREM Céline Calvez2, a été adoptée par le Sénat le 19 janvier 2022 après avoir subi un certain nombre de modifications3.
Le texte sera prochainement examiné par les députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire. (Le texte a été examiné en CMP et le dispositif de contrôle d’honorabilité maintenu lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée).
Parmi les nombreuses dispositions de la PPL relatives au mouvement sportif, figure un seul article portant sur l’Esport destiné à compléter la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Il est suggéré d’instaurer un contrôle d’honorabilité des encadrants Esport (enseignants, animateurs, arbitres, juges…) pour leur interdire d’exercer leurs fonctions en cas de condamnation pénale ou de suspension administrative pour faits criminels ou délictueux (violences, agressions sexuelles, trafic d’armes, de stupéfiants, mise en danger de la vie d’autrui…).


Nos questions à M. le sénateur MICHEL SAVIN
GAME AND RULES. – Monsieur le Sénateur, toute l’équipe GAME AND RULES vous remercie d’avoir accepté de vous prêter à cette interview.
Avez-vous une sensibilité et une appétence particulière pour l’Esport ? Avez-vous l’occasion de jouer à des jeux vidéo ?
Michel SAVIN. – A titre personnel je n’ai pas d’appétence particulière pour l’esport en tant que joueur. Je ne joue pas aux jeux vidéo.
Cependant, j’ai une sensibilité et une appétence particulière pour l’esport en tant que phénomène social. J’ai suivi l’émergence de cette discipline via les médias, et j’ai également eu l’occasion de me rendre à la Paris Games Week avec ma collègue Christine Lavarde. Nous avons été extrêmement impressionnés par le nombre de jeunes présents, par la ferveur et la dimension de cet évènement.
GAME AND RULES. – Il est tout à votre honneur de vouloir encadrer et accompagner les joueurs professionnels d’Esport dont le statut a été reconnu par l’article 102-I de la loi de 2016. Cela étant, ne craignez-vous pas que certains acteurs de l’Esport ne se sentent stigmatisés par le choix du titre de votre proposition de loi visant un E-sport « sain et responsable » ?
Michel SAVIN. – Bien au contraire, le but de la proposition de loi est d’aboutir à une reconnaissance des joueurs de jeux vidéo de haut niveau et de protéger les jeunes générations. En effet, de nombreux joueurs mineurs sont en difficulté ou en décrochage scolaire du fait d’un non encadrement, il faut donc créer un cadre comme pour les autres sports.
GAME AND RULES. – Selon vous, qui avez pratiqué le basket, pensez-vous qu’il existe des aptitudes et compétences communes au sport et à l’Esport ?
Michel SAVIN. – Je pense que toute pratique sportive demande des aptitudes similaires. Si le esport peut être critiqué, notamment sur les questions de sédentarité par exemple, mais je pense que les joueurs de haut et très-haut niveau, qui représentent la France au plus haut niveau international, on des schémas d’entrainements et des rythmes très similaires avec la pratique du basket à haut-niveau.
Je suis pleinement conscient de l’engagement des jeunes dans une telle discipline. Quand bien même des questionnements légitimes peuvent être soulevés, je pense que nous devons accompagner le développement de cette nouvelle pratique.
GAME AND RULES. – Comme vous le savez, le député Christophe Naegelen a présenté, en septembre 2021, une proposition de loi visant un développement sain et responsable de la pratique de l’e-sport en France et notamment l’inscription des e-sportifs sur des listes de joueurs de haut-niveau et de joueurs espoirs. Pensez-vous qu’une telle proposition, si elle était adoptée par l’Assemblée nationale, pourrait recevoir un accueil favorable du Sénat lors de la navette parlementaire ?
Michel SAVIN. – En tant que législateur, il nous a semblé important de nous saisir de ce sujet. Je pense que beaucoup de travaux doivent encore être menés. Je connais l’engagement de certains de mes collègues parlementaires, et je connais également l’engagement des acteurs à vouloir structurer cette nouvelle filière.
Ce qui est certain, c’est que nous n’échapperons pas à un débat dans les prochaines années, et je souhaite que nous puissions l’avoir, c’est notre rôle. A titre personnel, je serais totalement favorable à l’examen d’un texte de loi sur le sujet.
Cependant, il me semble que le sujet doit être traité dans son ensemble : classification de cette discipline esportive, gouvernance, structuration de la filière, protection et accompagnement des pratiquants, …
Avec Christine Lavarde nous avons d’ailleurs défendu à plusieurs reprises l’harmonisation des taux de TVA sur le sport.
Je défendrai cette vision auprès de mes collègues si un débat devait avoir lieu et j’y prendrai toute ma part.
GAME AND RULES. – Évoquons à présent l’article de la PPL Sport qui met en place un contrôle de l’honorabilité des encadrants de l’Esport. Un dispositif similaire qui a été récemment instauré dans le sport repose sur un traitement automatisé des données à caractère personnel dénommé « SI d’honorabilité »4. Étant précisé que ces données sont recueillies par les fédérations sportives afin de permettre aux services de l’Etat de procéder à ce contrôle. En l’absence de fédération Esportive à l’heure actuelle, comment ce contrôle pourrait-il intervenir et quels moyens pourraient y être affectés ?
Michel SAVIN. – Lors des travaux sur la PPL Démocratiser le sport de ces derniers mois, nous avons eu deux réflexions parallèles. Un dispositif applicable au sport de manière générale de contrôle de l’honorabilité des encadrants était présent. Nous nous sommes questionnés sur la possible nécessité d’étendre ou de renforcer ce dispositif.
Et au fil de nos recherches, et de l’actualité, nous avons remarqué que le esport ne rentrait pas dans le champ d’application.
Or le esport est largement pratiqué par les mineurs, et il nous a semblé plus que nécessaire que les même contrôles puissent être effectués, pour éviter que des prédateurs puissent se reconvertir dans le esport.
Il nous a semblé nécessaire de légiférer et donner les moyens aux acteurs de s’emparer de ce sujet, sans attendre qu’un scandale éclate. Anticipons !
Le dispositif sur le fond est le même que celui s’appliquant pour le mouvement sportif. Cependant, la loi ne rentre pas dans le niveau de détails de l’application de ce contrôle. Cela est renvoyé au Conseil d’Etat, qui le précisera par décret après concertation des acteurs. Etant donné qu’il n’y a pas de fédération reconnue, un nouveau dispositif va être imaginé pour le champ du esport, et je n’ai pas de doute que celui-ci sera aussi robuste que pour le sport. C’est un enjeu de sécurité fort pour tous les pratiquants.
GAME AND RULES. – Certaines voix se sont élevées notamment celles de l’association France Esports pour dénoncer l’inadaptation de certaines dispositions législatives dont le CDD Esport mais aussi pour souligner les nombreuses questions restant en suspens (absence de réglementation des compétitions de jeux vidéo en ligne, formation des encadrants Esport, reconversion des joueurs professionnels, fiscalité…). Ces questions ont-elles été prises en compte, voire débattues ?
Michel SAVIN. – Le domaine du esport ne faisait pas partie du champ de la proposition de loi que nous débattions. Nous avons parlé de l’honorabilité des encadrants car un dispositif était présent dans le texte initial sur ce sujet très précis.
Comme je vous le disais, je pense qu’un travail de fond doit être mené sur le esport, sur les dispositions applicables à ce champ d’activité, sur sa structuration. Au regard de l’important essor du esport, de son poids économique, et de sa reconnaissance planétaire, ce sujet doit faire l’objet d’un travail spécifique et d’un texte dédié.
GAME AND RULES. – La PPL Sport contient de belles avancées pour le mouvement sportif. Certaines dispositions n’auraient-elles pu être transposées voire adaptées à l’Esport ? Par exemple, les articles ayant trait à l’interdiction de signes religieux ostensibles pour la participation aux évènements publics ou encore à la liberté de retransmission des évènements d’importance majeure.
Michel SAVIN. – Je partage votre constat. Mais en l’absence de structuration du esport et en l’absence de fédération, il est compliqué de mettre en place de telles dispositions. Je suis très fier que nous ayons pu aborder le sujet du esport dans le texte, ce n’était pas gagné. Je suis un fervent partisan du travail par étape. C’était une première étape, mais nous y reviendrons très rapidement. Les sujets que vous évoquez sont déterminants pour l’avenir.
GAME AND RULES. – Le sport français est bâti sur un modèle fédéral avec un système de délégation de service public par discipline sportive. L’Esport connaît une différence de gouvernance dominée par les éditeurs de jeux vidéo qui en ont la propriété intellectuelle exclusive. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Michel SAVIN. – La gouvernance du mouvement sportif est plurielle, et des acteurs privés sont présents dans certaines fédérations. Je ne doute pas qu’un modèle gouvernance associant les éditeurs de jeux vidéo puisse être trouvé, en accord avec tous les acteurs de la discipline et l’État. Nous avons réussi à être innovants et agiles pour le milieu sportif, nous pourrons l’être à nouveau pour le esport
GAME AND RULES. – Si l’on peut se réjouir d’un large soutien de l’Etat pour le développement de l’industrie du jeu vidéo (production, R&D, innovation…), on constate parallèlement l’insuffisance de soutien au secteur Esport. D’ailleurs, nombre d’équipes et d’organisateurs de compétitions ne parviennent pas à trouver leur modèle économique. Quelles seraient les solutions envisageables ?
Michel SAVIN. – La difficulté de la structuration économique existe dans le sport de manière générale. Alors même que le sport est structurant pour l’économie française, que son impact sur le PIB est loin d’être négligeable, les difficultés sont nombreuses et quotidiennes pour le milieu sportif, tout comme le vôtre. Il faut que les mentalités évoluent, c’est en cours. Je ne doute pas que la structuration économique de ces domaines va se cristalliser dans la prochaine décennie.
GAME AND RULES. – Dans son ensemble, le secteur de l’Esport français subit la concurrence de nombreux pays étrangers notamment américains et asiatiques. Ne pensez-vous qu’il serait indispensable de se rapprocher de nos voisins et partenaires européens pour initier des discussions et peut-être même de tenter d’harmoniser nos législations ?
Michel SAVIN. – Évidemment qu’il faut une harmonisation européenne, sur ce sujet comme sur tant d’autres. La concurrence internationale est le signe de la puissance de cette activité au niveau global. Le esport participe au rayonnement de la France, nous devons en être fier et le soutenir.
GAME AND RULES. – Contre toute attente, l’Esport ne fait pas partie des quatre sports additionnels (surf, escalade, skateboard, breaking) ajoutés au programme Paris 2024. Pourtant, le Comité International Olympique (CIO) a annoncé que certains « sports virtuels » pourraient être médaillables aux JO de 2028, à Los Angeles. La France n’a-t-elle pas un train de retard ?
Michel SAVIN. – Les sports additionnels pour Paris 2024 ont fait beaucoup débat, vous le savez. 19 disciplines souhaitaient intégrer le programme des Jeux, pour 4 places seulement. Les disciplines choisies par Tony Estanguet sont spectaculaires, répondaient à une attente notamment de la jeunesse et permettaient de maitriser les coûts.
GAME AND RULES. – Monsieur le Sénateur, merci de nous avoir accordé cet échange.
références
2 : Proposition de loi nº 3808 visant à démocratiser le sport en France
3 : tweet du sénateur Michel Savin au sujet des propositions de loi
4 : Arrêté du 31 mars 2021 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « SI Honorabilité »










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
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Triche : la lutte dans l’Esport
L’Esport (sport électronique ou pratique des jeux vidéo en compétition) est un secteur en pleine croissance qui attire les convoitises. La triche y a pris une ampleur importante, au point de devenir un sujet d’actualité récurrent.
La défense de l’intégrité des compétitions de jeux vidéo constitue à présent un véritable enjeu français mais aussi mondial.
Force est de constater que les actes de triche (“cheat”) se sont répandus dans l’Esport à la faveur de l’augmentation du nombre de joueurs.es et du niveau de jeu mais aussi et surtout des enjeux financiers notamment en termes de cashprize.
La triche est définie par Wikipedia comme “l’ensemble des moyens permettant, dans un jeu vidéo, de modifier les règles du jeu pour obtenir un avantage déloyal lors d’une partie1”.
Elle touche globalement l’ensemble des jeux compétitifs, que ce soit des FPS tels que Counter Strike Global Offensive (CS:GO) et Valorant, des MOBA comme League of Legends (LOL) et DotA ou encore d’autres types de jeux.
La triche gâche l’expérience de jeu des pratiquant.e.s qui respectent les règles et ternit l’image des titres multijoueurs et de leur communauté.
Face à un phénomène multiforme et international qui prend des allures de fraude à grande échelle (1), la lutte s’est organisée (2) avec des actions juridiquement fondées (3).
I. Le marché de la triche
La triche in-game revêt différentes formes et a évolué au fil des nouvelles technologies.
Les hackers ont commencé par exploiter des codes de triche qui avaient été créés à l’origine par les développeurs. Ceux-ci utilisaient ces codes pour tester plus facilement le jeu, et pouvoir ainsi identifier et résoudre les problèmes (bugs, failles…)2.
Le Code Konami fut le cheat code le plus célèbre et le plus fréquemment employé. Il tenait son nom du japonais Kazuhisa Hashimoto qui en 1986, avait programmé dans le jeu d’arcade Gradius une séquence de dix touches pour permettre d’accéder plus rapidement à certains niveaux de jeu3.
Des codes sources ayant été volés, les développeurs ont décidé de les intégrer à leurs jeux de façon à proposer des fonctionnalités supplémentaires aux utilisateurs. La triche a été ainsi “normalisée” par les créateurs de jeux eux-mêmes et certains sont allés jusqu’à vendre des codes de triche stockés sur des cartouches. On se souviendra par exemple de la cartouche Game Genie conçue dans les années 90 par la société Codemasters pour les consoles Nintendo.
- aimbot (programme d’aide à la visée)
- triggerbot, auto-aim (tir automatique sur les cibles)
- wallhacks (vision des adversaires à travers les murs)
- bunny hopping (technique de déplacements en sauts très rapides)
- farming bot (automatisation de l’acquisition de ressources comme des points d’expérience, de l’argent, des objets rares…)
- clipping (technique permettant de passer dans des endroits situés en dehors de la carte et donc en dehors des limites du jeu)
- spoofing (utilisation d’un faux GPS ou VPN pour modifier l’emplacement réel du joueur sur le jeu)
- drop hack (pratique consistant à déconnecter l’adversaire pour que la victoire soit comptabilisée comme un abandon).
Le marché de la triche est lucratif, les logiciels étant vendus à des prix pouvant aller jusqu’à 5000 euros pour les plus efficaces.
En outre, l’imagination est débordante quand il s’agit d’inventer de nouveaux types et techniques de triche (boosting, pratique consistant à jouer à la place d’un joueur d’un niveau inférieur pour le faire monter dans le classement5 ; dopage à l’aide de psychostimulants tels que l’Adderall6, matchs truqués et paris illicites…).
II. Responsabilités et sanctions
Les éditeurs de jeux vidéo et les organisateurs de tournois ont pris la mesure du phénomène. Ils n’hésitent plus à prendre des sanctions contre les joueurs.es qui trichent mais aussi, depuis quelques années, à poursuivre les créateurs et vendeurs ou revendeurs de logiciels de triche.
A - Des sanctions contre les tricheurs
La plupart des éditeurs a mis en place des solutions techniques comme des logiciels anti-triche pour détecter les fraudes.
C’est notamment le cas d’Epic Games avec ses logiciels Easy Anti-Cheat et Voice7, d’Ubisoft avec Gameblocks8 ou encore de Riot avec son logiciel Riot Vanguard utilisé sur le jeu Valorant9.
Cela étant, les systèmes anti-triche sont loin d’être imparables. En effet, certains tricheurs parviennent à passer entre les mailles du filet en trouvant des parades10, par exemple, en créant de faux comptes (parfois via une usurpation d’identité) ou en recréant des comptes avec d’autres adresses mail pour revenir instantanément dans la partie.
Lorsqu’un cas de triche est repéré et avéré, l’échelle des sanctions applicables est généralement graduelle : cela peut aller du simple avertissement à la suspension ou à la fermeture du compte.
L’éditeur Square Enix, sur sa licence Outriders, se contente d’isoler les tricheurs du reste de la communauté des joueurs en les stigmatisant11.
En revanche, Activision (récemment racheté par Microsoft) a banni près de 50 000 comptes en une seule journée, le 21 décembre 202112 et ce, grâce à son système anti-triche baptisé Ricochet. Le nombre de joueurs.es bannis a ainsi été porté à 500 000 rien que sur le jeu Call of Duty Warzone depuis son lancement en mars 202013.
De son côté, Ubisoft est allé plus loin en portant plainte contre un joueur français de Rainbow Six : Siege, Yanni Ouahioune (aka “Yannox”) qui s’employait notamment à contourner les règles du jeu. Le joueur avait ainsi utilisé la technique du boosting mais également publié des tutoriels d’utilisation de logiciels de triche sur sa chaîne YouTube.
La 12e Chambre du Tribunal correctionnel de Paris (dédiée à la délinquance astucieuse) a prononcé à son encontre une peine d’amende de 600 euros, ainsi que 2000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral14.
B - DES ACTIONS CONTRE LES VENDEURS ET DISTRIBUTEURS D'OUTILS DE TRICHE
Le 4 janvier 2022, Activision a déposé une plainte auprès d’un Tribunal de Californie contre la plateforme allemande EngineOwning, alléguant qu’elle « se prête au développement, à la vente, à la distribution et au marketing de toute une gamme d’outils de tricherie et de piratage pour les jeux en ligne populaires, avec en tête de proue les jeux Call of Duty ».
Il existe des précédents puisqu’en 2017, Blizzard avait déjà gagné un procès à 8,5 millions de dollars contre la société allemande Bossland, fournisseur de logiciels de triche, qui distribuait notamment un logiciel appelé “Watchover Tyrant” permettant de voir les ennemis à travers les murs.
La même année, Riot Games a obtenu gain de cause contre l’entreprise LeagueSharp à laquelle elle reprochait de vendre des scripts permettant d’automatiser un certain nombre d’actions en jeu. L’éditeur a été indemnisé à hauteur de 10 milliards de dollars ; pour sa part, LeagueSharp a été contrainte de cesser ses activités en les transférant à Riot Games.
Plus récemment, Bungie et Ubisoft, respectivement développeur et éditeur de jeux (dont Destiny 2 et Tom Clancy’s Rainbow Six: Siege), ont déposé une plainte commune à l’encontre de Ring-1, plateforme de vente de logiciels de triche15.
En mars 2021, le plus gros réseau de triche de jeux vidéo au monde ayant récolté plus de 750 millions de dollars a été démantelé par la police chinoise, avec la collaboration de l’éditeur de jeu, Tencent. En conséquence, 17 sites web ont été fermés et 10 revendeurs arrêtés et leurs actifs saisis16.
III. LES FONDEMENTS JURIDIQUES UTILISÉS
Les actions qui sont dirigées à l’encontre des tricheurs d’une part, et des professionnels qui créent et commercialisent des outils de triche d’autre part, reposent sur des fondements juridiques différents.
A - ACTIONS CONTRE LES TRICHEURS
Lorsqu’ils commettent des actes de triche, les Esportifs.ves sont poursuivis civilement sur le fondement de la violation des termes du règlement de tournoi qu’ils ont accepté. Le cas échéant, les dispositions du contrat de licence d’utilisateur final (CLUF) ou des conditions générales d’utilisation (terms of service) du jeu concerné peuvent leur être opposées.
Les joueurs.es engagent donc leur responsabilité (dite contractuelle au sens du droit français).
Force est de constater que les décisions de sanctions relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’organisateur de la compétition (qui est parfois également l’éditeur du jeu) et ne sont assorties d’aucune possibilité de recours.
Cependant, un modèle différent a été créé à l’étranger par un certain nombre d’acteurs majeurs de l’Esport17.
En effet, ces derniers se sont réunis au sein de l’Esports Integrity Commission (ESIC), association anglaise fondée en 2015 qui a pour objectif de lutter contre la triche et le dopage ou tout autre phénomène susceptible de porter atteinte à l’intégrité du sport électronique.
- Code d’éthique
- Code de conduite
- Code anti-corruption
- Code antidopage
- Procédure disciplinaire
- Liste de substances interdites (sauf autorisation d’usage thérapeutique)
Selon ledit Code conduite, “Tricher ou tenter de tricher pour gagner un Jeu ou un Match” est considéré comme étant une “infraction de niveau 3 ou de niveau 4 selon la nature et la gravité de la tricherie (à l’entière discrétion de l’arbitre du match, du commissaire à l’intégrité ou de leurs délégués). Sans s’y limiter, la triche peut inclure : “Map Hack” (utilisation d’un logiciel externe pour obtenir plus de vision que prévu par les mécanismes du jeu) “Aim Bot” (utilisation d’un logiciel externe pour frapper automatiquement les adversaires lors du tir d’une arme) “Ghosting” (obtention d’informations supplémentaires sur le jeu, généralement l’adversaire, à partir de sources tierces telles que les téléspectateurs de flux ou le public en direct) Tout logiciel externe qui altère directement le logiciel de jeu pour obtenir tout type d’avantage dans le jeu”.
C’est sur la base de ces règles qu’en 2020, 37 coachs ont été bannis sur le jeu Counter Strike édité par Valve. Il leur était reproché d’avoir exploité des bug leur permettant d’obtenir et de partager des informations confidentielles sur les équipes rivales pendant les matchs (pratique dite du coaching bug)19.
Ainsi, Nicolai «HUNDEN» Petersen, ancien joueur et entraîneur de la structure danoise Heroic, a fait l’objet d’une interdiction de participer, pendant deux ans, à tous les événements produits par les membres de l’ESIC. L’ESIC a demandé à tous les organisateurs de tournois, même non membres, de respecter cette interdiction.
Par ailleurs, en 2021, une enquête a été menée de façon conjointe par la Commission d’Intégrité de l’ESIC et le FBI (Bureau Fédéral d’Investigation) sur des allégations de matchs truqués (match-fixing) sur la scène nord-américaine de CS GO20.
Il convient de rappeler qu’en 2020, sept joueurs australiens avaient été suspendus un an pour des paris illégaux21.
B - actions contre les développeurs de logiciels tiers de triche
Les éditeurs de jeux sont titulaires de droits de propriété intellectuelle sur leurs œuvres.
En France, le droit d’auteur est codifié à l’article L 111-1 du Code de la Propriété intellectuelle22 qui dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous”.
En revanche, les pays anglo-saxon adoptant le “common law” (Etats Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie…) sont soumis aux règles du Copyright (désigné par le sigle©) qui accorde une protection à l’œuvre mais non à son auteur.
Ainsi, la plainte déposée par Activision contre le site EngineOwning a été initiée sur la base du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui est la loi américaine visant à la protection des droits d’auteur.
Arguant de “trafic de dispositifs de contournement”, d’“interférence intentionnelle avec les relations contractuelles” et de “concurrence déloyale”, Activision indique que la vente et la distribution du logiciel de tricherie ont causé “des dommages massifs et irréparables à son fonds de commerce et à sa réputation, ainsi qu’une perte de revenus substantielle”.
De son côté, Riot Games a poursuivi le site LeagueSharp non seulement pour violation du DMCA mais aussi pour infiltration dans un système informatique, et fuites de données personnelles concernant un de ses employés23.
En 2017, la Cour fédérale allemande a condamné un distributeur de logiciels de triche, l’entreprise Bossland, suite à une plainte de Blizzard notamment pour violation de copyright, de marque, des conditions de service et pratique anticoncurrentielle24.
Le juge a indiqué que “Bossland contribue matériellement à la contrefaçon en créant les Bossland Hacks, en mettant les Bossland Hacks à la disposition du public, en expliquant aux utilisateurs comment installer et exploiter les Bossland Hacks et en permettant aux utilisateurs d’utiliser le logiciel pour créer des œuvres dérivées”25
La société Blizzard a ensuite assigné la société Bossland devant la Haute Cour de justice d’Angleterre (High Court of Justice) en 2019 pour se voir allouer, à titre de dédommagement, une part des profits réalisés par Bossland au Royaume Uni.26
Si l’on se place sur le terrain du droit français, les éditeurs pourraient se prévaloir notamment de la violation des conditions d’utilisation (par la création non autorisée d’une œuvre dérivée du jeu) mais aussi de contrefaçon de droit d’auteur et de concurrence déloyale.
Aux termes de l’article L 335-3 du Code de propriété intellectuelle27, la contrefaçon désigne la reproduction, représentation ou diffusion d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur et donc sans son autorisation.
Si la concurrence déloyale n’est pas définie en tant que telle, ses actes constitutifs (dénigrement, parasitisme, imitation, confusion ou désorganisation) sont punissables sur le fondement de la faute28. Précisons que si le trouble commercial consécutif est induit (exemple : diminution de la communauté de joueurs), le préjudice économique doit être nécessairement justifié pour ouvrir droit à une indemnisation29.
CONCLUSION
La triche est un véritable fléau qui perturbe le bon déroulement et les résultats des tournois et porte ainsi atteinte à la sincérité et à l’intégrité des compétitions de jeux vidéo.
Nous l’avons vu, les éditeurs de jeux et les organisateurs de tournois ont mis en place des solutions techniques susceptibles de détecter les comportements toxiques.
Pour pouvoir sanctionner les agissements de triche et d’incitation à la triche, ces acteurs se sont dotés de leurs propres règles de régulation. Elles sont “codifées” dans un certain nombre de documents tels que des conditions générales de service et d’utilisation et/ou des règlements de tournois ou encore des Code de bonne conduite et d’éthique.
En revanche, il n’existe aucun cadre répressif contraignant permettant de réprimer spécifiquement la tricherie dans l’Esport. La même carence existe s’agissant de la fraude dite mécanique et technologique dans le sport, malgré une proposition de loi qui avait été déposée. Cela étant, l’arsenal législatif en vigueur peut suffire à réprimer ce type de comportement.
Face à un phénomène d’ampleur internationale, facilité par la dématérialisation des compétitions de jeux vidéo, les moyens de lutte actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Une “union sacrée” de l’ensemble des acteurs du secteur Esport nous semble indispensable pour une meilleure efficacité des actions à mener.
références
1 : article de Wikipédia “Cheat”
2 : article de Culture Games “les cheat codes : retrospective”
3 : article de Wikipédia “Code Konami”
4 : article et vidéo du journal Le Parisien “Logiciels de triche vendus entre 25 et 5000 euros : comment «Call of Duty» a été pourri par des mauvais joueurs”
5 : article de DEXERTO “Le boosting est désormais officiellement passible de prison en Corée du Sud”
6 : article de numerama “« Ils avalent des pilules comme des Skittles » : enquête sur le dopage à l’Adderall dans l’esport”
7 : article de Tribune Occianie “Epic Games publie son système anti-triche gratuit pour tous les jeux”
8 : article de Clubic “Ubisoft rachète GameBlocks, un éditeur de solutions anti-triche dans les jeux vidéo”
9 : article de BeGeek “Valorant : Riot Games explique le fonctionnement du système anti-triche Vanguard”
10 : article de DEXERTO “Un hacker ridiculise l’anti-cheat de Fortnite lors des FNCS”
11 : article de JVFR “Outriders : les tricheurs séparés à vie des joueurs respectant les règles”
12: article de jeuxvideo.com “Call of Duty Warzone : Ricochet, le système anti-triche, fait des ravages et affiche des résultats affolants !”
13 : article d’actugaming.net “Call of Duty : 48 000 tricheurs ont été bannis sur Warzone et Vanguard”
14 : article de zdnet “Ubisoft obtient la condamnation d’un tricheur notoire sur Rainbow Six”
15 : article de Ouest France “Ubisoft et Bungie portent plainte contre le site de triche Ring-1”
16 : article de DEXERTO “La police abat le plus grand réseau de triche de jeux vidéo au monde”
17 : Notamment : ESL, DreamHacks, Weplay, Blast, LVP, Nodwin, Eden, Relog, UCC, Allied, Kronoverse, Estars, 247Leagues
18 : Consultez le site de l’ESIC
19 : article du journal l’équipe “Esport – Counter-Strike : 37 coachs sanctionnés dans une affaire de triche”
20 : article du journal l’équipe “Le FBI et l’ESIC enquêtent sur une affaire de matchs truqués”
21 : article d’eclypsia “7 joueurs pro de CS GO bannis pour des paris illégaux
22 : article L111-1 du Code de la proriété intellectuelle
23 : article du aAa (against all authority) “Riot Games porte plainte contre LeagueSharp”
24 : Affaire Blizzard contre Bossland, Bundesgerichtshof, 12 janvier 2017 : Article en anglais de Video Games Law
25 : article de torrentfreak (en anglais) “Blizzard Beats “Cheat” Maker, Wins $8.5 Million Copyright Damages”
26 : article de Bristows (en anglais) “Blizzard v Bossland: An account of profits judgment for licensing video game ‘cheats and bots’ software”
27 : article L335-3 du Code de la propriété intellectuelle
28 : Code civil, articles 1240 et 1241
29 : article de Soulier Avocats “Le préjudice économique d’un acte de concurrence déloyale ne peut pas être présumé : il doit être prouvé”
30 : Proposition de loi nº 134 visant à compléter la loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport afin de lutter contre la fraude mécanique et technologique dans le sport










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
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Cyberharcèlement : quels outils contre ce fléau ?
Les cas de cyberharcèlement ne manquent pas. Que ce soit en France ou à l’étranger, bon nombre de personnes en ont été victimes, comme Ultia récemment, lors du Z Event et de « l’affaire Inoxtag ». Aujourd’hui, Game and Rules et la rédac’ *aAa* en abordent le cadre juridique.
GAME AND RULES et aAa Gaming collaborent à compter d’aujourd’hui pour vous proposer chaque mois des articles abordant des sujets juridiques concernant l’Esport.
Fondé en 2000, aAa Gaming est un club esport qui a marqué toute une génération de joueurs en remportant d’innombrables titres de champions. En 2004 la structure poursuit son développement avec un site internet proposant depuis un suivi complet de l’actualité esportive. Acteur historique du secteur, Team aAa est ainsi devenu au fil des années un média référence et un expert reconnu du milieu.
Cyberharcèlement : fléau 2.0
Cependant, sachez que les cyberviolences (incivilités numériques) peuvent se combattre avec l’arsenal juridique déjà en vigueur et que l’impunité des auteurs est loin d’être assurée. Un tour d’horizon juridique s’impose donc car « nul n’est censé ignorer la loi » !
I. Le cadre juridique du cyberharcèlement
A- Définition du cyberharcèlement
Le « cyberharcèlement » (littéralement harcèlement en ligne) n’est pas un terme juridique à proprement parler. Il s’agit plutôt d’une expression employée dans le langage courant pour désigner du harcèlement virtuel. Il est acquis depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, que la liberté d’expression ne doit pas nuire à autrui. C’est pourquoi, après avoir sanctionné le harcèlement en présence (offline), le législateur s’est emparé de la question des violences numériques.
Il a cependant fallu attendre la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes pour que soient introduites dans le Code pénal des dispositions réprimant comme délit le harcèlement « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ».
Depuis la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa »9, le harcèlement moral ou sexuel est devenu un délit aggravé notamment lorsqu’il est « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne » ou au moyen d’un « support numérique ou électronique ». Le cyberharcèlement peut donc être sanctionné non seulement lorsqu’il s’exprime de façon publique mais aussi sur des canaux ou supports privés (réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Twitch, YouTube ; messageries ; téléphones ; forums ; chats, jeux vidéo en ligne ; SMS ; blogs ; vidéos…).
Pensez au proverbe latin : « Verba volant, scripta manent » (« les paroles s’envolent, les écrits restent »). Car celui-ci est toujours et partout d’actualité, y compris sur internet et les réseaux sociaux. En d’autres termes, toutes vos données ainsi que ce que vous écrivez ou enregistrez (quel que soit le support : papier ou numérique) peuvent être retrouvés et se retourner contre vous. L’inverse est également vrai, c’est-à-dire que vous pouvez utiliser les éléments écrits ou numériques d’une personne qui vous « cible » comme éléments de preuve à son encontre.
Potentiellement, nous pouvons tous et toutes être victimes de comportements ou propos harcelants. Mais nous pouvons également, volontairement ou par inadvertance, se retrouver dans le camp des harceleurs. La frontière est parfois subtile et il se peut, parfois, que la personne accusée d’harcèlement en subisse à son tour. Ainsi, Andréas Honnet, connu sous le pseudonyme de Sardoche, s’était plaint en 2020, de recevoir des messages haineux et insultants pendant ses parties de League of Legends et même d’avoir été la cible de « swatting »10 et de « stream sniping »11, alors qu’il lui avait été reproché par certaines personnes de s’être livré lui-même à du cyberharcèlement.
B- Les formes de cyberharcèlement
- Harcèlement moral : il s’agit du « fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale »12.Le cyberharcèlement moral peut se manifester de bien des façons différentes et notamment par l’envoi de propos menaçants et/ou insultants (moqueries, menaces, humiliations…) ou encore par la création d’un groupe, d’une page ou d’un faux profil à l’encontre d’une personne.
- Harcèlement sexuel : il s’agit du « fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante »13.Le cyberharcèlement sexuel peut se manifester, par exemple, par la publication de photos sexuellement explicites ou humiliantes ou par du « slut shaming », pratique consistant à blâmer des filles ou des femmes en raison notamment de leur apparence, de leur tenue vestimentaire, de leur maquillage ou encore de leur orientation sexuelle.
Si l’on reprend les critères légaux, l’infraction de cyberharcèlement n’est constituée que si les faits de harcèlement :
- se sont produits de façon répétée ; un acte isolé et unique de harcèlement n’est donc pas suffisant;
- et ont entraîné des conséquences négatives sur la vie de la victime (« altération de la santé physique et mentale » concernant le harcèlement moral ; « atteinte à la dignité ou création d’une situation intimidante, hostile ou offensante » concernant le harcèlement sexuel).
- Le « happy slapping » : diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos d’agressions physiques14.
- Le « revenge porn » (vengeance pornographique), pratique consistant à diffuser auprès du public ou d’un tiers des photographies ou vidéos présentant un caractère sexuel, sans l’accord de la personne concernée15.
- Le « doxing » : diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens16.
- Le délit dit « de captation, d’enregistrement et de transmission d’images impudiques », commis à l’insu ou sans le consentement de la personne17.
II. Responsabilités et sanctions
A- Le ou les auteurs du cyberharcèlement
L’auteur principal du cyberharcèlement est le premier responsable des contenus haineux en ligne. Cependant, sont également responsables, depuis la loi Schiappa, les co-auteurs, c’est-à-dire les personnes qui relaient les propos harcelants que ce soit par des partages, des commentaires, des retweets, des likes ou par tout autre moyen. Il s’agit de ce qu’on appelle des « raids numériques » ou du « harcèlement de meute ».
Par conséquent, peut-être incriminée toute personne qui a participé, même par un acte unique, sans concertation, au cyberharcèlement en groupe d’une personne. Ainsi, les internautes, membre du groupe qui a participé à une campagne de cyberharcèlement, peuvent être pénalement poursuivis individuellement et ce, sans même avoir agi de façon répétée ou concertée.
L’auteur du cyberharcèlement, que son action ait été individuelle ou collective, risque une peine allant de deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € à 45 000 € d’amende, selon la nature morale ou sexuelle du cyberharcèlement.
La première condamnation définitive pour harcèlement de meute est intervenue récemment. En effet, par un arrêt du 28 septembre 2021, la Cour d’appel de Versailles a condamné le youtuber Habannou S., connu sous le pseudo « Marvel Fitness », à une peine de deux ans de prison, dont vingt-deux mois avec sursis pour avoir moralement harcelé d’autres influenceurs au travers de vidéos et « dramas »18. Pour mémoire, suite à plusieurs plaintes, Marvel Fitness avait été renvoyé devant la chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Versailles pour « envoi de messages haineux, outrageants ou insultants ayant entraîné une dégradation des conditions de vie et une altération de la santé physique ou mentale des victimes », « envoi de messages malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité » et « violences sur avocat ». Il s’est également vu reprocher d’avoir encouragé sa communauté à se livrer à du harcèlement.
B- Les plateformes en ligne
En France, les plateformes19 sont considérées, à l’instar des fournisseurs d’accès, comme de simples hébergeurs, tels que définis par l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Ainsi contrairement aux éditeurs qui créent et déterminent les contenus mis à la disposition du public, les hébergeurs ne sont que des prestataires et intermédiaires techniques qui se bornent à mettre à la disposition du public des équipements techniques permettant la diffusion en ligne des contenus des éditeurs.
Par conséquent, les plateformes et réseaux sociaux n’ont qu’une responsabilité civile et pénale limitée. En effet, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée que si ce dernier :- a eu expressément connaissance du « caractère manifestement illicite » des contenus délictueux,
- et n’a pas agi promptement, dès qu’il en a eu connaissance, pour retirer les contenus concernés, ou n’a pas rendu leur accès impossible.
Le Conseil constitutionnel est venu préciser que la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers ne peut être engagée « si elle ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge »20.
Conformément à la loi, les plateformes ne sont pas soumises à une obligation de surveillance ou de filtrage des contenus rendus disponibles.
Par conséquent, l’hébergeur n’est présumé avoir connaissance des faits qu’à partir du moment où il reçoit notification des faits litigieux. En d’autres termes, la victime doit se manifester auprès de la plateforme concernée pour dénoncer les faits de cyberharcèlement subis en respectant un certain formalisme prévu par la loi.
Ainsi, il appartient à la personne cyberharcelée d’envoyer un écrit (ou une notification via un dispositif technique directement accessible sur la plateforme) contenant les informations suivantes :
- date de la notification
- éléments d’identification personnelle du notifiant (nom, prénom, adresse…)
- description du contenu litigieux, localisation précise et, le cas échéant, adresse.s électroniques auxquelles ce contenu est rendu accessible
- motifs légaux pour lesquels le contenu devrait être retiré ou rendu inaccessible
- copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des contenus litigieux demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté21
A défaut de respecter cette procédure, l’hébergeur ne pourrait être tenu responsable du fait du maintien des contenus litigieux.
Cela étant, depuis mai 2016, certaines plateformes (dont Facebook, Twitter, Instagram, YouTube et Webedia via son site jeuxvideo.com) se sont engagées, dans le cadre d’un Code de bonne conduite, à examiner les demandes de suppression de contenus de haine en ligne en moins de 24 heures22.
III. Moyens juridiques de lutte contre le cyberharcèlement
Si l’on veut être efficace, lutter contre le cyberharcèlement ne s’improvise pas. La vigilance et le combat s’opèrent dès la première manifestation des faits de cyberviolences.
Il faut être organisé et procéder par étapes. La collecte et la sauvegarde des preuves doivent constituer le premier réflexe car le ou les auteurs du cyberharcèlement pourraient supprimer les traces de leurs propos ou agissements. Il s’agit donc d’un préalable indispensable à toute action juridique que la victime pourrait entreprendre.
A- Collecte et conservation des preuves
S’agissant de faits de harcèlement numérique, la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tout moyen, sous réserve naturellement qu’elle n’ait pas été falsifiée.
Pour avoir force probante, la preuve doit être authentique et fiable. L’objectif étant d’établir l’existence des propos et agissements concernés mais aussi d’identifier leur auteur, lorsque cela est possible.
Idéalement, la victime se rapprochera d’un Huissier de justice pour faire dresser un procès-verbal de constat. L’Huissier ne pourra procéder qu’à des constatations matérielles, sans pouvoir donner son avis sur les conséquences pouvant en résulter. Ses constatations font foi jusqu’à preuve contraire, sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements25.
A défaut, il conviendra de procéder, par exemple, à des enregistrements vidéo ou sonores, des copies des liens, des captures d’écran horodatées (« screenshot ») de l’ensemble des messages et preuves constitutifs du cyberharcèlement. La victime devra veiller à s’assurer de l’authenticité et de la fiabilité technique des éléments de preuves pour ne pas risquer un rejet par le juge.
Les preuves rassemblées serviront à justifier notamment de l’identité de l’agresseur, de la date et de la nature de l’infraction, du nombre de messages et des éventuels co-auteurs.
Par ailleurs, il est conseillé de bloquer immédiatement l’accès à votre ou vos comptes sociaux ou de bannir les personnes indésirables. Il est également important de ne jamais répondre aux cyberharceleurs afin de ne pas alimenter la « shitstorm » et surtout d’éviter que vos réponses ne puissent se retourner contre vous.
B- Actions juridiques
Une fois les preuves collectées et sauvegardées, la victime pourra mettre en œuvre une action civile et/ou pénale à l’encontre des personnes physiques ou morales responsables directement ou indirectement des faits de cyberharcèlement.
1. Signalement
Dans un premier temps, il est judicieux de procéder immédiatement à un signalement.
Ce signalement peut s’effectuer auprès de la plateforme en ligne sur laquelle les propos ou agissements dénoncés sont diffusés. Il conviendra de suivre au préalable la procédure propre à la plateforme qui figure généralement dans ses conditions générales d’utilisation (dite « charte d’utilisation »).
Dès réception de cette notification, la plateforme analysera si les contenus en cause constituent une violation de sa charte d’utilisation et/ou de la loi. Si tel est le cas, elle devra retirer rapidement les contenus illicites ou rendre leur accès impossible, sous peine de voir sa responsabilité potentiellement engagée. Une copie de ce signalement devra être conservée.
Il est également possible de procéder à un signalement auprès de la police et de la gendarmerie notamment via PHAROS (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalement), portail du Ministère de l’Intérieur26. PHAROS a, avant tout, une mission d’alerte auprès des autorités compétentes.
Selon l’appréciation et la nature de la gravité des faits, une enquête pourra être ouverte sous l’autorité du procureur de la République. Si le ou les auteurs du cyberharcèlement agissent sous pseudonymat (anonymat), PHAROS aura la capacité de requérir auprès des opérateurs techniques, dont les fournisseurs d’accès, les données (adresses IP, mails, identité…) permettant d’identifier le titulaire de la ligne d’où émane le message ou propos incriminé.
2. Action civile et/ou pénale
La victime a naturellement toujours la possibilité d’agir devant les autorités judiciaires. Étant précisé que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des atteintes aux droits sur internet dès lors que les contenus litigieux sont accessibles en France.
Le cyberharcèlement étant un délit, la victime pourra porter plainte, soit contre personne dénommée, soit contre X si l’auteur est sous pseudonymat. Il faut cependant tenir compte du délai de prescription pour la poursuite pénale des délits, qui est de 6 ans à compter du jour où l’infraction a été commise.
Le dépôt de plainte peut être effectué de plusieurs manières :
- en ligne sous forme de pré-plainte27
- par un courrier adressé au Procureur de la République du Tribunal judiciaire compétent
- ou en se rendant directement dans un commissariat de police ou une gendarmerie
Il faut savoir que les agents de police ou les gendarmes ont l’obligation d’enregistrer la plainte et ce, sans émettre d’observations sur la qualification pénale des faits. La plainte sera alors transmise au Procureur de la République qui appréciera l’opportunité des poursuites et décidera donc seul soit d’y donner suite, soit de classer la plainte sans suite28.
Lorsque la plainte est classée sans suite ou qu’aucune suite n’est concrètement apportée depuis trois mois, la victime du cyberharcèlement a la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile29.
Cette plainte, qui doit être déposée devant le juge d’instruction du tribunal compétent, permettra d’ouvrir une information judiciaire, c’est-à-dire une enquête.
Par contre, si l’identité de l’auteur du cyberharcèlement est connue et que la preuve est apportée, la personne cyberharcelée pourra saisir directement le tribunal correctionnel par voie de citation directe. En d’autres termes, l’auteur des faits sera convoqué à une audience judiciaire par un acte d’huissier. Ce sera à la victime de choisir le moyen d’action souhaité, au besoin avec l’aide d’un Avocat
3. Renforcement des moyens de lutte
Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (dit « parquet numérique »), pôle spécialisé rattaché au parquet de Paris30, a été créé en 2021 en vertu de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.
Cette juridiction est compétente au niveau national pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits de harcèlement sexuel ou moral aggravé par le caractère discriminatoire, dès lors que les faits sont commis sur internet et que la plainte a été adressée par voie électronique.
Selon une circulaire du 24 novembre 202031, les critères de saisine du parquet de Paris sont :
- la complexité de la procédure (résultant de la technicité de l’enquête, de vérifications internationales, de la multiplicité d’auteurs notamment lorsqu’ils sont localisés en de multiples points du territoire)
- le fort trouble à l’ordre public engendré par les faits (notamment en cas de retentissement médiatique important ou de sensibilité particulière de l’affaire)
En revanche, ledit parquet n’a pas vocation à connaître de ces infractions lorsque, bien que publiques et commises par voie numérique, elles interviennent dans un cadre interpersonnel, notamment familial ou professionnel. Il en est de même lorsque ces infractions sont commises par des mineurs.
La circulaire indique également que le parquet de Paris est désormais l’interlocuteur judiciaire exclusif de la plateforme PHAROS pour tous les aspects ayant trait aux signalements reçus sur la haine en ligne. En outre, le parquet numérique collabore avec les représentants des réseaux sociaux, dans l’objectif d’apporter une réponse judiciaire plus efficace.
L’Affaire Mila (jeune fille qui avait reçu des milliers de messages de haine et de menaces après une vidéo polémique sur l’Islam) est le premier dossier à avoir été coordonné par le Pôle national de lutte contre la haine en ligne.
Par ailleurs, la France est associée à la volonté de l’Europe de « bâtir un monde digital régulé » dans l’objectif de « garantir aux citoyens européens leur sécurité en ligne et les protéger contre tout abus »32. Ainsi, le projet de règlement européen de « Législation sur les services numériques » ou « Digital Services Act » (DSA) publié le 15 décembre 2020 vise à contraindre les plateformes numériques à modérer ou supprimer les contenus illicites qui y sont publiés et à en assumer la responsabilité.
La France devrait mettre ce texte au cœur de ses priorités dans le cadre de la présidence de l’Union européenne qu’elle occupera à partir de janvier 2022.références
2 : article de l’OBS avec Rue89 “Sexisme : les gameuses, harcelées ou moquées”
3 : article du MGG “LoL : les équipes de LCK réagissent face au cyber-harcèlement”
4 : article de Microsoft news “Safer Internet Day 2020 : les attaques sur le physique émergent cette années en tête des incivilités numériques”
5 : article du groupe BPCE “Cyber-harcèlement : La Caisse d’Epargne s’associe à l’Association e-Enfance”
6 : article de Wikipédia “Affaire Ligue du LOL”
7 : En 2020, la cour d’appel de Paris a condamné un homme à six mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour avoir menacé de viol la journaliste sur le forum « Blabla 18-25 ans ».
8 : article de france bleu “Affaire Mila : cinq nouveaux auteurs de menaces de mort interpellés”
9 : LOI n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (1)
10 : Appel téléphonique malveillant qui consiste à essayer de piéger des services de police, tout en restant anonyme, en leur faisant croire à la nécessité d’une intervention d’urgence, en général au domicile d’un particulier, pour lui nuire. Il était à l’origine utilisé dans le milieu du gaming avant de se répandre dans d’autres milieux.
11 : Pratique qui consiste à utiliser le flux en direct d’une personne contre elle.
12 : Code pénal, article 222-33-2-2
13 : Code pénal, article 222-33
14 : Code pénal, article 222-33-3
15 : Code pénal, article 226-2-1
16 : Code pénal, article 223-1-1 ; infraction introduite par la loi du 24 août 2021confortant le respect des principes de la République, adoptée suite à l’assassinat de Samuel Paty.
17 : Code pénal, article 226-3-1
18 : article de numerama “Le youtubeur Marvel Fitness a été condamné en appel pour harcèlement”
19 : En vertu de l’article L111-7 du Code de la consommation, « Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur : 1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
20 : Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004
21 : Cette condition n’est pas exigée pour la notification de certaines infractions (notamment incitation aux violences sexuelles et sexistes et incitation à la haine raciale ou à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap)
22 : article de la Commission Européenne “Le code de conduite de l’UE visant à combattre les discours de haine illégaux en ligne continue de produire des résultats”
23 : article de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) “Adresser une plainte à la CNIL”
24 : concernant Google : formulaire de demande de déréférencement
25 : Ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, article 1.
26 : formulaire de signalement du Ministère de l’Intérieur
27 : formulaire de pré-plainte en ligne du Ministère de l’Intérieur
28 : Code de procédure pénale, article 40-1
29 : Code de procédure pénale, article 85
30 : Code de procédure pénale, article 15-3-3
31 : Circulaire du Ministère de la Justice relative à la lutte contre la haine en ligne du 24 novembre 2020
32 : Communiqué – Réaction de Bruno Le Maire, Clément Beaune et Cédric O sur le Digital Services Act et le Digital Markets Act – 15/12/2020










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
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Fiscalité et Esport : les gains des joueurs
La question de la fiscalité n’est pas toujours évidente pour les joueurs Esport, surtout dans un secteur où les législations sont encore peu nombreuses. Dans cet article, nous vous aidons à y voir plus clair.
Les gains de compétition, c’est-à-dire les prix et lots remis aux joueurs, sont imposables. Cependant il n’y a pas de régime spécifique à l’Esport pour le moment.
On applique alors les règles fiscales de droit commun : impôts sur le revenu, impôts sur les sociétés…
JOUEURS NON PROFESSIONNELS
Dans la pratique, il semblerait que l’administration fiscale fasse preuve de tolérance lorsque ces gains ne sont pas habituels1.
Ainsi, si le joueur ne participe à des compétitions de jeux vidéo que de façon exceptionnelle, il pourrait échapper à l’imposition de ses gains.
JOUEURS PROFESSIONNELS
Les joueurs professionnels qui tirent de leur activité des revenus réguliers et non accessoires doivent déclarer ces sommes.
La façon de les déclarer dépendra alors de leur statut :
PARTICIPATION A TITRE PERSONNEL
Entrepreneurs individuels :
Les gains obtenus seront imposables à l’impôt sur le revenu (IR), dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) à ou l’impôt sur les sociétés (IS) selon le statut juridique adopté (entreprise ou société).
Les revenus dégagés par l’entrepreneur individuel sont intégrés au revenu global de son foyer fiscal pour être soumis au taux d’imposition du barème de l’impôt sur le revenu.
Sociétés :
Lorsque les revenus sont générés par une société, les bénéfices sont soumis à l’impôt sur les sociétés puis distribués aux associés sous forme de dividendes et soumis à l’impôt sur le revenu.
La TVA est applicable au taux normal de 20%, sauf si le chiffre d’affaires ne dépasse pas le seuil de la franchise en base de TVA2.
PARTICIPATION EN TANT QUE MEMBRE D'UN CLUB OU D'UNE EQUIPE
Joueur prestataire de service indépendant :
Si le joueur est un prestataire de services indépendant, il sera rémunéré dans le cadre d’un contrat commercial et imposé selon le statut de sa structure (impôt sur le revenu si entreprise ou impôts sur les sociétés si société) et les montants encaissés sur facture
Joueur salarié :
Si le joueur est salarié de la structure et qu’il perçoit des rémunérations complémentaires sous forme notamment de « prime de match », celles-ci feront l’objet des cotisations sociales et prélèvements fiscaux habituels pour les rémunérations du travail.
Quel que soit le statut du joueur, prestataire ou salarié, ses gains n’entrent pas dans le champ de la TVA car ils n’ont pas de lien direct avec la fourniture d’une prestation de services.
Les parlementaires souhaitent la clarification, par voie d’instruction fiscale, du statut des gains et cachets obtenus lors de la participation à des compétitions3.
Les droits d’entrée payés par les joueurs sont soumis à la TVA au taux normal, soit 20 %4.
EN BREF
Aucun régime fiscal spécifique ne régit les manifestations esportives, ce qui crée un flou qui peut être préjudiciable aux joueurs. La fiscalité du joueur dépend donc de son statut juridique.
En cas de doute sur sa situation fiscale, il est vivement conseillé d’interroger préalablement l’administration fiscale sur sa position via la procédure de rescrit fiscal5.
https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/entrepreneuriat/rapport-pratique-jeu-video.pdf
2 : Code général des impôts, article 293 B.
3 : Rudy Salles, Jérôme Durain : Rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo (e-sport) de juin 2016, p. 53 :
https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/entrepreneuriat/rapport-pratique-jeu-video.pdf
4 : article de l’IREDIC “E-sport : La TVA à 5.5% pour les billets des compétitions ?”
5 : article du site impots.gouv.fr “le rescrit fiscal”










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
[INTERVIEW] Député Christophe NAEGELEN : Sa proposition de loi Esport


Le député Christophe NAEGELEN a accepté de répondre aux questions de l’équipe GAME AND RULES à propos de la proposition de loi visant un développement sain et responsable de la pratique de l’e-sport en France.
Elle vise à la reconnaissance du statut de haut niveau des joueurs de jeux vidéo pratiquant leur discipline de manière professionnelle, suivant deux axes :
- « inscription des e‑sportifs aux côtés des acteurs qui participent au rayonnement de la Nation et à la promotion des valeurs du sport ».
- « création, à l’image de ce qui existe pour le sport, de listes des joueurs de jeux vidéo de haut niveau et des joueurs Espoirs par le ministre du Sport en commun avec le ministre chargé du Numérique, sur proposition des fédérations responsables telles que France e‑sport ».
Cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée Nationale le 20 septembre 2021 par le député UDI de la 3e circonscription des Vosges (et ancien pratiquant de boxe).
Nos questions à M. le député CHRISTOPHE NAEGELEN
GAME AND RULES. – Monsieur le Député, tout d’abord l’équipe GAME AND RULES vous remercie d’avoir accepté de vous prêter à cette interview.
L’on peut constater que l’anglicisme E-sport (littéralement « sport électronique ») est entré dans le dictionnaire Larousse mais n’est pas utilisé par le législateur dans les textes. Depuis la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, seule l’expression de « compétitions de jeux vidéo » est employée. Est-ce pour respecter la loi du 4 août 1994, dit loi Toubon, relative à l’emploi de la langue française ?
Christophe NAEGELEN. – Tout à fait. Il bien est normal que les parlementaires utilisent la langue française et non des termes et expressions anglaises.
GAME AND RULES. – Il est tout à votre honneur de vouloir encadrer et accompagner les joueurs professionnels d’Esport dont le statut a été reconnu par l’article 102-I de la loi de 2016. Cela étant, ne craignez-vous pas que certains acteurs de l’Esport ne se sentent stigmatisés par le choix du titre de votre proposition de loi visant un E-sport « sain et responsable » ?
Christophe NAEGELEN. – Bien au contraire, le but de la proposition de loi est d’aboutir à une reconnaissance des joueurs de jeux vidéo de haut niveau et de protéger les jeunes générations. En effet, de nombreux joueurs mineurs sont en difficulté ou en décrochage scolaire du fait d’un non encadrement, il faut donc créer un cadre comme pour les autres sports.
GAME AND RULES. – Pourriez-vous nous parler de l’historique de votre proposition de loi ?
Christophe NAEGELEN. – Je suis un pratiquant de boxe et je m’entraine encore de 4 à 6 heures par semaine. Je joue peu aux jeux vidéo même s’il m’arrive de jouer à Tekken, PES (NDLR : désormais eFootball) ou Super Mario.
En revanche, je suis un député de terrain et je rencontre régulièrement des jeunes qui participent à des compétitions de jeux vidéo, qui m’ont évoqué ce sujet. Les parents aussi, d’ailleurs, sont concernés.
GAME AND RULES. – Dans son ensemble, le secteur Esport souffre de ne pas être suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Ainsi, il ne bénéficie par exemple d’aucun ministère qui lui est dédié ni d’aucun budget spécifique, contrairement au sport par exemple. Pourtant, il existe actuellement 7,8 millions de consommateurs ou pratiquants Esport en France (baromètre Esport 2020), chiffre qui devrait continuer à croître.
Ne pensez-vous qu’il faille affecter au Esport une structure étatique dédiée pour une meilleure structuration ?
Christophe NAEGELEN. – Je pense que l’Esport devrait être rattaché au ministère chargé des Sports car il ne cesse de se développer. Il faut avoir une vision pragmatique et « vivre avec son temps ».
L’Esport est un également un outil de rayonnement culturel. Il faudrait avoir des équipes françaises qui puissent participer aux compétitions internationales sous le drapeau de notre pays.
Pour cela, il faudrait une structure fédérale Esport à l’image des fédérations sportives locales, départementales, régionales et nationales.
GAME AND RULES. – Les principales dispositions de la loi de 2016 concernant les compétitions des jeux vidéo ont été codifiées dans le Code de la sécurité intérieure. En revanche, votre proposition de loi propose une modification de certains articles du Code de l’éducation et du Code du sport pour intégrer les joueurs de jeux vidéo.
Cela signe-il un rapprochement plus officiel avec le secteur sportif, ses valeurs et son fonctionnement ?
Christophe NAEGELEN. – L’Esport est l’équivalent d’un sport comme la boxe ou le golf. En effet, la pratique du jeu vidéo de haut niveau nécessite des performances qui mobilisent, comme pour le sport, des capacités physiques et mentales. Sport et Esport requièrent finalement les mêmes niveaux d’entraînement et exposent, de la même façon, les pratiquants à d’éventuelles blessures (articulations, nuque…)
GAME AND RULES. – Aux termes du nouvel article L 221-2-1 A qu’il est suggéré d’ajouter au Code du sport, « Le ministre chargé des sports et le ministre chargé du numérique arrêtent, au vu des propositions des fédérations, la liste des joueurs de haut niveau ou Espoirs dans les compétitions de jeux vidéo ». Or, il n’existe encore aucune Fédération française Esport (du moins correspondant au sens donné aux fédérations sportives par l’article L 131-1 et suivants du Code du sport) pouvant donner un avis sur le sujet. Dès lors, sur quels définition et critères cette liste de joueurs de jeu vidéo sera-t-elle fondée ?
Christophe NAEGELEN. – Il appartient effectivement au secteur Esport de se fédérer, soit en créant une Fédération française d’Esport, soit en transformant l’association France Esports et en l’adaptant pour qu’elle puisse répondre aux critères légaux d’une Fédération. La liste des joueurs pourra ensuite être établie.
GAME AND RULES. – Concernant la volonté d’aménagement du temps scolaire des joueurs de jeu vidéo, elle répond à une réelle nécessité. Cela étant, il manque une véritable filière de formation Esport des joueurs mais aussi des encadrants. Qu’en pensez-vous ?
Christophe NAEGELEN. – Il faudrait effectivement créer une filière Esport dans certains établissements scolaires. En comparaison, il existe bien des sections sportives dans les collèges et lycées (anciennement section « sport-étude »).
GAME AND RULES. – Votre proposition de loi s’inscrit-elle dans le cadre de la stratégie nationale Esport 2020-2025 portée par le Ministre du numérique, Cédric O et la Ministre des sports, Roxana Maracineanu ?
Christophe NAEGELEN. – Oui tout à fait. Cette stratégie devra se concrétiser via un « investissement » de la part du Ministère des Sports.
GAME AND RULES. – L’Esport connaît encore de nombreux vides juridiques, notamment en termes d’encadrement des compétitions en ligne mais aussi de l’activité de coach, team manager, administrateur (NDLR : arbitre), caster (NDLR : commentateur) ou encore d’agent de joueur de jeux vidéo. Des avancées législatives sont-elles prévues ?
Christophe NAEGELEN. – Naturellement, il faut poursuivre le travail législatif, notamment par la création d’une Fédération d’Esport et une responsabilisation des éditeurs de jeux vidéo. Ceux-ci devront abandonner leurs droits dans le cadre de compétitions nationales, régionales, départementales et locales. Il y va d’ailleurs de leur intérêt s’ils veulent accroître les ventes de leurs jeux.
On pourrait même imaginer des accords de cession de licences entre les éditeurs de jeux et la ou les futures Fédérations d’Esport, qui pourraient inclure les autorités de l’Etat.
GAME AND RULES. – Monsieur le Député, merci de nous avoir accordé cet échange.










DÉBORAH AFLALO
Docteur en droit / Juriste Esport – Sport
CEO de GAME AND RULES : Première plateforme juridique 100% Esport et Gaming.
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Comment protéger mon pseudo ?
Autrefois utilisé pour se cacher, le pseudonyme fait aujourd’hui partie intégrante de notre identité. Mais quels sont vos droits et comment le choisir ? Comment protéger votre pseudo et ainsi votre identité ? Comment faire de votre pseudonyme un véritable atout pour votre carrière et pour votre business ? Faisons ensemble un tour d’horizon de la législation applicable en la matière
GAME AND RULES et aAa Gaming collaborent à compter d’aujourd’hui pour vous proposer chaque mois des articles abordant des sujets juridiques concernant l’Esport.
Fondé en 2000, aAa Gaming est un club esport qui a marqué toute une génération de joueurs en remportant d’innombrables titres de champions. En 2004 la structure poursuit son développement avec un site internet proposant depuis un suivi complet de l’actualité esportive. Acteur historique du secteur, Team aAa est ainsi devenu au fil des années un média référence et un expert reconnu du milieu.
L’article a été publié sur le site d’aAa Gaming le 3 octobre 2021.
Dans le domaine des jeux vidéo, et de la vie numérique en général, un pseudonyme est souvent obligatoire. Il remplace d’ailleurs souvent l’identifiant, notamment sur les plateformes de jeux. Il est nécessaire pour accéder aux services en ligne mais aussi pour protéger sa vie privée.
Le choix du pseudo est d’ailleurs primordial et il convient de le choisir soigneusement comme nous le verrons.
“Squeezie”, “Gotaga”, “Dooms”, “KennyS”, “Shox”, “Michou”, “Andilex”, “SuperAkouma”, “Kamet0″…, la liste est longue. Les gamers et streamers sont, pour la grande majorité, connus uniquement sous leurs pseudo.
Il devient alors la seule identité connue d’une personne et prend le pas sur son état civil. Le pseudonyme est alors objet de convoitise. La tentation est grande pour des tiers de l’utiliser frauduleusement ; l’usurpation d’identité est courante notamment sur les réseaux sociaux.
Enfin, le pseudo peut même devenir un élément d’identité, un véritable actif immatériel ayant une valeur certaine. Il convient alors non seulement de le protéger mais aussi de travailler sur cette valeur.
Le pseudonyme : un élément de la personnalité
Si aucun statut juridique spécifique n’est prévu pour le pseudonyme, celui-ci est protégé au titre du droit de la personnalité.
Droits fondamentaux et inaliénables, les droits de la personnalité sont ceux qui garantissent à un individu la protection des attributs de sa personnalité (nom, image, voix etc…) et de son intégrité morale.
A ce titre, le pseudonyme devient la propriété de celui qui l’utilise dès lors que, suite à un usage prolongé et notoire, il devient pour le public l’identité même de son propriétaire. Le pseudonyme s’incorpore alors complètement à son identité et à sa personnalité.
Il faut donc noter que seuls les pseudonymes jouissant d’une notoriété certaine et établie sont concernés.
L’importance du statut juridique du pseudonyme entraine a fortiori certaines contraintes à prendre en compte lors de son choix :
- le pseudonyme ne doit porter atteinte ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs. Evitez donc insultes, propos subversifs et autres images de style de mauvais goût.
- le pseudonyme ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs, tels qu’une marque enregistrée ou un usage antérieur de ce même pseudonyme par une autre personne.
Les pseudonymes destinés à rester privés ne sont pas soumis avec la même force à ces obligations. Cependant, si vous avez l’ambition de vous faire connaître au monde sous un pseudonyme, peu importe votre impact réel, le bon sens sera votre meilleur allié pour vous aider dans votre choix.
Si vous avez besoin d’aide pour sécuriser le choix de votre pseudonyme, faites appel à un professionnel pour vous guider.
La protection du pseudonyme
Nous rappelons que seuls les pseudonymes devenus notoires sont ici concernés.
Le reconnaissance du pseudonyme comme une propriété permet donc de s’en prévaloir et de mener des actions de protection.
Cela permet :
- de lutter contre l’usurpation d’identité et
- d’interdire l’usage de son pseudonyme à un tiers.
Lutter contre l'usurpation d'identité
L’usurpation d’identité est un fléau de la vie numérique. Il est effectivement aisé de choisir un pseudonyme identique ou ressemblant à un pseudo notoire. Il n’existe en effet aucun contrôle lors du choix d’un pseudo.
Cependant, il existe un moyen de réagir face à l’utilisation de votre pseudonyme par un tiers.
Selon l’article 226-4-1 du code pénal, le délit d’usurpation d’identité est constitué dès lors que:
- un élément de la personnalité d’un tiers est utilisé (le pseudo faisant partie des éléments de la personnalité),
- le but recherché est de porter atteinte au titulaire du pseudonyme ou à autrui.
L’alinéa 2 précise que le délit peut être commis “sur un réseau de communication au public en ligne”, créant ainsi le délit “d’usurpation d’identité numérique”. Cela comprend notamment les emails, les sites web, les messages publiés en ligne et les profils sur les réseaux sociaux.
Quelles sont vos voies d’actions possibles ?
Si votre pseudonyme est utilisé pour se faire passer pour vous ET dans un but malveillant, il faut réagir rapidement :
- réunir des preuves de l’infraction en enregistrant les URL des sites concernés et en effectuant des captures d’écran des éléments. Vous pouvez faire appel à un huissier pour établir un constat ou opter pour un outil digital,
- demander l’identité de l’auteur de l’infraction auprès du fournisseur d’hébergement du site concerné,
- contacter les administrateurs des sites concernés pour faire supprimer les contenus litigieux (attention seulement après avoir récolté les preuves de l’infraction),
- déposer une plainte pour “usurpation d’identité numérique” au commissariat ou par courrier auprès du procureur ou du juge d’instruction.
La sanction est d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (75.000 € lorsque l’auteur de l’infraction est une personne morale).
Interdire l'usage de son pseudonyme
L’usage du pseudonyme par un tiers n’est pas forcément constitutif d’un délit d’usurpation d’identité. Il n’en demeure pas moins que le titulaire peut contrôler son usage, voire l’interdire.
Selon l’article l’article L. 711-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, le propriétaire d’un pseudonyme peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque. A condition que la marque reproduise son pseudo de façon à créer une confusion dans l’esprit des consommateurs.
Il pourra aussi s’opposer à ce que son pseudonyme soit utilisé par un tiers, y compris les porteurs d’un nom de famille semblable dans le cas d’un usage concurrentiel. Ainsi, les titulaires d’un nom de famille qui ont laissé le pseudonyme homonyme se développer sans agir, ne peuvent plus ni l’utiliser, ni agir pour empêcher l’usage du pseudonyme.
Il s’agit ici d’action en annulation, contrefaçon et concurrence déloyale découlant de la reconnaissance par le Code de la Propriété Intellectuelle du pseudonyme comme un droit opposable à un actif immatériel.
Le pendant de cette reconnaissance est la nécessité de vérifier si le pseudonyme porte atteinte à une marque, un nom commercial ou un autre pseudonyme antérieur ; sous peine de s’exposer aux mêmes actions.